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Elle commence vers le milieu du XIIe siècle avec Foulques de Neuilly, Jean de Nivelle et Maurice de Sully; elle jette son plus vif éclat au début du XIIIe lorsque saint Dominique et saint François d’Assise, entraînant sur leurs traces une foule de néophytes, impriment à la prédication populaire un essor incroyable, et font naître sous leurs pas une pléiade d’orateurs sacrés. Par malheur, cette période de prospérité est courte. Le XIIIe siècle commence à peine la seconde moitié de sa carrière que déjà la décadence oratoire se fait sentir, et chaque jour les symptômes précurseurs s’accusent et s’aggravent. On s’était dégagé de cette rhétorique pompeuse, de cette forme enflée et emphatique qui avait été au début du XIIe siècle recueil de l’éloquence; mais on dépasse le but, et l’on verse maintenant du côté de la trivialité. En même temps l’abus de la méthode et de la classification, l’engouement toujours croissant pour la dialectique et pour la philosophie d’Aristote, font naître de nouveaux dangers. La subtilité, l’affectation, envahissent la chaire. Tandis que dans les sermons aux fidèles la familiarité tourne au trivial, dans les sermons aux clercs la science se change en obscurité. Ce n’est pas tout encore : les procédés mécaniques, « le métier, » suivant l’expression de M. Victor Le Clerc, succèdent peu à peu à l’inspiration. La fin du XIIIe siècle voit éclore une foule de manuels, de répertoires, de collections de thèmes et d’exemples, de distinctions, — c’est le nom usité alors, — destinés à être la providence de l’orateur paresseux ou embarrassé. Dès lors l’habitude se répand de puiser sans plus de souci dans ces magasins de chefs-d’œuvre tout faits. Préparer un sujet, composer un discours, ce n’est plus la peine; on se contente de coudre ensemble des fragmens pillés chez d’autres prédicateurs, ou bien l’on apprend tout simplement par cœur un recueil entier de ces sermons, et l’on se trouve prêt à tout événement. En toute circonstance, on a son discours sur la langue, il n’y a qu’à ouvrir la bouche, si bien que l’on dit couramment d’un prédicateur : Il prêche abjiciamus, il prêche suspendium, selon que la série qu’il débite à tout propos commence par suspendium ou par abjiciamus. L’éloquence de la chaire est rabaissée pour longtemps à une pure et simple routine.

Cette décadence de l’art oratoire n’est pas d’ailleurs, au XIIIe siècle, un phénomène isolé. La chaire subit une loi commune et suit la marche du siècle tout entier. Il est assez de mode, lorsqu’on consent à faire l’éloge du moyen âge, de le réduire exclusivement au XIIIe siècle. Le XIIIe siècle, voilà la lumière; les autres, ténèbres et barbarie! Pourtant à quelle époque la sève de l’humanité se fait-elle jour dans toute sa jeunesse et dans toute sa plénitude? Est-ce au XIIe ou au XIIIe siècle? Est-ce au XIIe ou au XIIIe siècle que res-