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Lui-même, malgré son caractère sacré, est en butte aux mépris et aux insultes de ses paroissiens. Les trouvères et les troubadours ont-ils jamais été contre le clergé plus virulens et plus implacables ?


IV.

Nous devrions nous arrêter, si nous étions plus soucieux de laisser au lecteur une impression favorable que d’éclairer toutes les faces du sujet ; mais il faut être impartial avant tout. Disons donc quelques mots du mérite littéraire de nos prédicateurs. Nous l’avouons librement, il est rare de rencontrer chez eux de ces beautés parfaites qui sont la marque des grands orateurs et des grands écrivains. Ils sont tous incomplets, inégaux : ils sont enfans par certains côtés, presque vieillards par d’autres. Nous ne les donnons pas, en un mot, pour des modèles accomplis, mais nous repoussons les jugemens préconçus dont on les a frappés tous indistinctement. Depuis le temps du grand roi, les historiens littéraires ont été unanimes pour accabler de leurs dédains les sermonnaires du moyen âge. Au XVIIe siècle, c’est Ellies Dupin qui, du haut de sa chaire de Sorbonne, les condamne en bloc, sans autre forme de procès. Au XVIIIe c’est Joly, dans son Histoire de la Prédication, qui renouvelle et aggrave la condamnation. S’il mentionne en passant saint Bernard, « cet astre apparu au milieu de noires ténèbres, » ou saint Thomas d’Aquin, « ce docteur qui eût été un grand génie, s’il fût né dans un autre siècle, » ou Innocent III, ou saint Antoine de Padoue, ou saint Bonaventure, ce n’est pas sans s’excuser aussitôt de la liberté grande et sans se récrier contre « le mauvais goût, contre les allégories, contre la sécheresse de ces barbares. » Le plus curieux de l’affaire, c’est que ce Joly est lui-même de l’ordre de Saint-François, et n’écrit son livre que pour « venger l’honneur de la chaire. » Au XIXe siècle enfin, Daunou, dans sa docte importance, qualifie majestueusement les discours d’Albert le Grand, de saint Thomas, de Jacques de Voragine, de « monumens d’une scolastique barbare et d’une crédulité grossière, aussi inconciliables l’une que l’autre avec la véritable éloquence. »

Sans plaider au fond, comme l’on dit au palais, on peut dès l’abord opposer à ces réquisitoires une fin de non-recevoir. En deux mots, nous n’avons pas les pièces du procès ; ce sont les plus importantes qui nous manquent. Si nous devions trouver quelque part la grande éloquence, chaude, entraînante, colorée, ou l’éloquence plus simple, plus familière, mais non moins inspirée, non moins pleine d’onction, ce serait dans les appels à la croisade, dans les