Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 82.djvu/842

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fortifications pour murs, des tours pour réfectoires, des châteaux pour églises, des villas pour granges, est-ce que tout cela ne prête pas a rire aux laïques ? Ne pouvait-on à moins de frais souper dans le réfectoire, loger le pauvre dans le dortoir ? »

Les chanoines surtout sont fustigés d’importance. « Aux offices où l’on fait une distribution de deniers, ils accourent ; mais tout le temps que durent les autres ils restent chez eux à jouer aux dés. » lis n’assistent aux services funèbres que lorsque la lugubre cérémonie doit être suivie d’un de ces repas, de ces remembrances où ils peuvent satisfaire leur goinfrerie. Ils ne se soumettent même pas aux avertissemens de leurs supérieurs ; si l’évêque les veut admonester, ils prétendent ne dépendre que du doyen du chapitre ; si le doyen s’avise alors de les morigéner, ils répondent insolemment qu’ils ne relèvent que du chapitre même. Aussi de quelles convoitises les canonicats ne sont-ils pas l’objet ! « Il en est qui tombent en délire quand il y a une vacance, comme les chiens lunatiques lorsque le cours de la lune décroît. » Heureux encore lorsqu’ils se contentent d’une seule prébende ; mais, hélas ! il n’est pas rare de voir ces ambitieux en accaparer sans vergogne deux, trois, quelquefois plus encore. « Ont-ils donc plusieurs ventres pour consommer plusieurs bénéfices ? » demande avec indignation Jacques de Vitry. Et Thomas de Cartempré, comme Albert le Grand, comme Guiard de Laon, les voue formellement à la damnation éternelle. Cela ne les émeut guère. Ils ne s’en précipitent pas moins à la curée, et y mènent avec eux toute la séquelle de leurs proches, car eux aussi joignent le népotisme à la simonie. « Quand ils viennent aux chapitres, dit énergiquement Guillaume d’Auvergne, on les prendrait pour des poules couveuses, car tous leurs neveux courent derrière eux comme des poussins, piaulant, grouillant, et obéissant à leurs moindres volontés. »

Tout cela n’est rien encore auprès du concubinage des prêtres. Voilà pour le clerc le plus affreux des vices, et contre lui l’église n’a pas assez d’anathèmes. Malheur, trois fois malheur au prêtre qui est atteint de cette lèpre ! Il sera damné sans rémission dans la vie future, et déjà dans la vie d’ici-bas son châtiment commence. Il est pauvre, il est misérable. On le reconnaît à l’état délabré de ses vêtemens, à ses manches percées au coude ; il se voit, lui et sa complice, l’objet de la réprobation universelle ; personne ne veut donner à l’église le baiser de paix à la prêtresse ; on lui chante au visage ce refrain populaire :

Je vos conjur, sorriz et raz,
Que vous n’aiés part en ces tas
Ne plus que n’a part en la messe
Cil qui prent pais à la prestresse.