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orateurs sacrés s’arment du fouet le plus impitoyable, et ce n’est là ni la moins curieuse, ni la moins éclatante preuve de leur abnégation et de leur sincérité. Moines, curés, abbés, évêques, sont cités à la barre, et quelles rudes sentences! Point d’indulgence pour l’évêque négligent, avide, orgueilleux ou simoniaque. Ne devrait-il pas être, dit Jacques de Vitry, « l’avocat des pauvres, l’espoir des infortunés, le tuteur des orphelins, le bâton des vieillards, le vengeur des crimes, le marteau des tyrans, s’entourer de familiers honorables et de coopérateurs cherchant, non pas leur intérêt, mais celui de Jésus-Christ? » Combien peu de prélats approchent de cet idéal! Celui-ci est en proie à l’avarice; il vend la justice, il vend les prébendes. Réclame-t-on son saint ministère? Si c’est un riche qui l’appelle, il court; si c’est un pauvre, il fait la sourde oreille; il thésaurise, il amasse, sans jamais se rassasier. Avoir, c’est un doux poison, s’écrie, dans un langage que nous regrettons d’altérer, un prédicateur normand malheureusement anonyme. Maintes gens commencent à amasser comme dans une intention louable, comme pour servir Dieu et faire des aumônes; mais quand ils ont « assemblé leur avoir, » alors « change leur courage. » Le prêtre se dit : « Ton épargne t’aidera quand tu auras la crosse, » et le moine : « Mon abbé mourra, et mes deniers me feront avoir l’abbaye. » Cet autre est tout entier aux plaisirs de la table. « Quelle différence y a-t-il aujourd’hui, nous dit Élinand, entre la table d’un pontife et celle d’un roi? Est-ce que les abbés eux-mêmes ne veulent pas des mets princiers? Montrez-moi un de ces riches se couvrant de pourpre et se nourrissant d’huîtres qui vaille le riche de la parabole de Lazare gémissant aux enfers ! » Et contre le népotisme, cette autre plaie de l’épiscopat, quels accens indignés ! Écoutons encore Jacques de Vitry. « Les malheureux, les insensés ! ils abandonnent le soin de plusieurs millions d’âmes à des enfans auxquels ils n’oseraient confier trois poires, dans la crainte qu’ils ne les mangent! J’en connais un, de ces jeunes intrus, que son oncle avait installé au chœur dans la stalle de l’archidiacre, et qui la souillait encore comme naguère le giron de sa nourrice ! »

Si les hauts dignitaires sont ainsi traités, on pense bien que les simples curés, les simples moines, n’ont pas de ménagemens à attendre. Les sermonnaires accablent impitoyablement le « mauvais prêtre, qui donne quatre fois le baiser de Judas en célébrant la messe : à l’autel, à la patène, au livre d’Évangile et à son assistant (minister). » — «Plongé dans les choses de la matière, dit Geoffroy de Troyes, il s’inquiète peu de celles de l’intelligence ; il diffère du peuple par l’habit, non par l’esprit, — par l’apparence, non par la réalité. » Aux moines, qui ont fait vœu de pauvreté, on reproche amèrement leur richesse. « Des palais pour hôpitaux, des