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Ce qui domine en eux, ce n’est pas l’intérêt personnel, c’est une préoccupation plus générale et plus noble, c’est l’amour de la justice et l’impérieux besoin de proclamer la vérité.

Voyez plutôt leur attitude, non plus seulement en face des hobereaux et des seigneurs de village, mais en face du pouvoir qui prime tous les autres, en face de la royauté. Écoutez Jacques de Vitry prononcer hautement cette maxime : « l’unique noblesse, c’est la noblesse de l’âme, » et c’est la seule dont un roi doive se targuer. Écoutez Etienne de Bourbon répéter après le pape Zacharie : a Le roi, c’est celui qui gouverne bien. » Écoutez Élinand proclamer qu’un « roi illettré n’est qu’un âne couronné! » Ailleurs c’est Humbert de Romans qui déclare que la condition essentielle de la royauté est moins dans l’origine que dans l’équitable exercice de la puissance souveraine. C’est Élinand qui s’écrie à son tour : « La puissance est transportée en punition de l’injustice... Le fils succède donc à son père, s’il imite sa probité. » C’est Jacques de Vitry qui fait consister toute la légitimité et toute la force du pouvoir royal « dans l’élévation des bons et la répression des méchans, dans la protection des églises et des pauvres, dans la distribution de la justice et la répartition des droits de chacun... » Voilà des maximes qu’on ne s’attendait peut-être pas à trouver dans la bouche de ces moines; mais en voici de plus étonnantes encore. On le sait, nous sommes au XIIIe siècle, c’est-à-dire à l’heure où les légistes préparent de tous leurs efforts le triomphe de la règle byzantine : quidquid placuerit principi legis vigorem habet. Eh bien ! quels adversaires opposent à cette théorie du pouvoir absolu la négation la plus formelle, la réprobation la plus énergique? Ce sont les prédicateurs, c’est le clergé. « C’est une insigne fausseté, selon Élinand, ce qui est écrit là dans le code, que toutes les volontés du prince ont force de loi! » Il « place formellement le salut commun au-dessus de toute considération dynastique, » et ajoute ; « Il n’est pas étonnant qu’il soit interdit au roi d’avoir un trésor privé, car il ne s’appartient pas à lui-même, il appartient à ses sujets. » Jacques de Vitry enfin proclame cette maxime aussi profonde que hardie : « il n’y a point de sûreté pour un monarque du moment que personne n’est en sûreté contre lui. » A-t-on jamais rien dit de plus fort contre le despotisme?

Que reste-t-il pour compléter le tableau? La société du moyen âge est peinte ici tout entière ; tous ses membres se sont montrés tour à tour. Tous? Non, sans doute. Les prêtres n’ont pas paru; mais quoi! le clergé va-t-il donc se dénoncer lui-même, les prédicateurs vont-ils retourner leurs foudres contre leurs frères en religion? Eh bien! oui : c’est contre les mauvais prêtres que les