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moyens, spéculent sur la curiosité, sur l’ignorance, sur la badauderie, sur la cupidité du public, car ils vont jusqu’à payer de leurs deniers pour qu’on assiste à leurs leçons. A côté des professeurs, les élèves! Voici d’abord l’écolier studieux : seul dans sa chambrette ou partageant avec un compagnon encore moins fortuné son maigre ordinaire et son étroit logis, il passe ses journées penché sur les gloses de la Bible ou d’Aristote. Il est pauvre, car il est loin de sa famille, et les sergens ou garçons de l’Université le rançonnent et le pillent à outrance. Il mourrait de faim, s’il n’était soutenu par la libéralité de ses camarades plus riches, qui se cotisent, suivant le conseil d’Eudes de Châteauroux, en faveur de leurs frères indigens, ou bien par les rentes spéciales qui dans certaines églises ont été fondées par des bienfaiteurs de la jeunesse studieuse, ou bien enfin par les modestes gratifications qu’il recueille en s’acquittant de certaines petites corvées, par exemple en offrant le dimanche l’eau bénite de porte en porte, « suivant la coutume gallicane. » Voici maintenant l’étudiant amateur, venu de sa province pour complaire à sa famille, qui veut faire de lui un savant clerc. Il paraît aux cours pour la forme, tantôt à l’un, tantôt à l’autre, n’écoutant guère, apprenant moins encore. Cependant, lorsqu’il vient aux cours une ou deux fois par semaine, il semble s’attacher surtout aux décrétistes; c’est que leurs leçons ne sont faites qu’à la troisième heure et n’interrompent point la grasse matinée. Cependant ces paresseux ne laissent point de se faire gravement précéder d’un valet qui plie sous le poids de volumes énormes. Aussi vienne l’été, ils se hâtent de fuir l’Université pour s’aller reposer chez eux des durs travaux de l’hiver. Voici enfin, — c’est l’espèce la plus commune, — l’écolier tapageur et débraillé. Celui-là ne voit dans le titre d’écolier que des franchises assurées et le privilège de pouvoir à peu près impunément rosser les archers, houspiller les bourgeois et débaucher les filles. Aussi n’est-il bruit que de ses fredaines. Hôte assidu des cabarets et des tripots, « il court la nuit, tout armé, dans les rues de la capitale; il brise les portes des maisons, y fait invasion et violente les gens paisibles. Les tribunaux sont remplis du bruit de ses esclandres; tout le jour des courtisanes viennent déposer contre lui, se plaignent d’avoir été frappées, d’avoir eu leurs vêtemens mis en pièces ou leurs cheveux coupés. » Il est en guerre ouverte avec la puissante corporation des bourgeois, et le Pré aux Clercs est le théâtre quotidien de ses ripailles et de ses violences.

Et les paysans, grossiers, cupides, envieux les uns des autres, convoitant le bien du voisin, cherchant toujours à élargir sans qu’il y paraisse leur champ ou leur pré, surtout ignorans et superstitieux ! Et les domestiques, ces serviteurs et ces servantes de toute espèce et de toute condition, qui se ressemblent tous par un point,