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nétrer dans les âmes les préceptes et les mystères de la religion. Une phrase de l’Évangile, de l’Ancien ou du Nouveau-Testament, un des commandemens de Dieu ou de l’église, quelquefois même un fragment d’un texte profane, quelques vers d’une chanson fournissant une allégorie facile et frappante, voilà le plus souvent le fond des sermons. A côté de ces discours dogmatiques, de ces instructions tantôt élevées et tantôt familières, nous en voyons dans les manuscrits d’autres en grand nombre qui sont exclusivement consacrées à la critique de la société, à la réforme des mœurs; ce sont les sermons ad status, nom bizarre, mais qui a le mérite de bien exprimer ce qu’il veut dire. Chacun de ces sermons en effet s’adresse tout spécialement aux fidèles d’un certain état, d’une certaine classe : l’un aux riches, l’autre aux mendians, celui-ci aux « maires de la cité, » celui-là aux « usuriers, » cet autre « aux folles femmes. » On voit d’ici quelle mine inépuisable d’observations, de peintures de mœurs! Nous possédons des recueils entiers de ces sortes de compositions : Alain de L’Isle, Jacques de Vitry, Humbert de Romans, Guibert de Tournai, nous en ont laissé des collections complètes. Il y en a là pour près de cent vingt catégories d’auditeurs; il y en a pour les clercs séculiers, pour les clercs réguliers, pour les princes, pour les nobles, pour les bourgeois, pour les étudians, pour les ouvriers, pour les marchands, pour les paysans, pour les marins, pour les soldats, pour les juges. Encore ne donnons-nous là que des divisions beaucoup trop générales, car chacune d’elles est subdivisée en une foule de sous-catégories auxquelles s’adresse plus directement chacun des discours ad status. Disons-le même, ils sont à tel point spéciaux qu’on peut douter qu’ils aient été jamais prononcés comme ils sont écrits. Comment croire qu’il pût se trouver un auditoire exclusivement composé de négocians, de bouchers, d’usuriers ou de folles femmes? Non, ces sermons étaient plutôt comme des réserves toutes prêtes, comme un arsenal bien fourni, où les orateurs, selon l’occurrence, venaient ramasser les traits les plus propres à frapper les assistans.

Peu importe après tout ce qu’étaient alors ces sermons et pour qui ils étaient prononcés; aujourd’hui et pour nous, ils sont une véritable encyclopédie qui sans ambages et sans prétentions descend dans le détail des faits, et par le menu nous met sous les yeux la réalité même. Ici, par exemple, le prédicateur fait la morale aux commerçans. Pensez-vous qu’il se borne à leur dire : « Il faut être honnête et ne pas frauder vos chalands, » à leur débiter des tirades sur le vice et la vertu? A d’autres! l’orateur sacré connaît aussi bien qu’eux-mêmes les ruses des marchands infidèles, et il le leur fait voir. « Toi, dit-il au cabaretier, tu mets de l’eau dans ton vin ; toi, marchande de lait, « maudite vieille, » tu frelates ta mar-