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« comme un acheminement vers ce singulier mélange, presque inévitable dans un genre où l’on voulait, sans renoncer encore au latin, être compris de la multitude. » Eh bien! la vérité est que de tous ces sermons pas un n’a dû être prononcé autrement qu’en français. Tous sans exception peuvent et doivent rentrer dans l’une ou l’autre de ces deux catégories : ou ce sont, d’après les propres paroles de M. Lecoy de La Marche, « des fragmens latins plus ou moins considérables, empruntés d’ordinaire à un livre saint, qui sont suivis de leur commentaire français, » ou « ce sont des phrases ou de simples mots français intercalés, enchevêtrés dans un texte latin. » Dans le premier cas, le mystère s’explique de lui-même, ou plutôt il n’y en a point. L’orateur recommence plusieurs fois dans le cours de son sermon ce qu’on ne fait aujourd’hui qu’une fois au début du discours; il cite des textes, et chaque fois qu’il en a cité un, il le traduit aussitôt, il le développe, il le commente. Quoi de moins étonnant, quoi de plus conforme aux habitudes constantes de la chaire? Au lieu d’un thème unique, il s’en trouve plusieurs, voilà toute la bizarrerie. Dans le second cas, l’explication n’est pas moins naturelle. Ces textes bigarrés qui nous surprennent, ce ne sont que des brouillons ou des notes prises de souvenir; c’est un clerc qui, écrivant de mémoire au sortir du sermon, reproduit dans la langue ecclésiastique les mots et les phrases dont la forme vulgaire lui échappe, ou qui, prenant ses notes en latin, laisse en français les citations, — si fréquentes alors, — de vers ou de proverbes, et les locutions originales qu’il n’a pas le temps de traduire sur l’heure, ou qui enfin, prévoyant et charitable pour ses collègues en prédication et désireux de leur faciliter la besogne, leur indique dans son brouillon ou dans son résumé la traduction exacte, l’équivalent en langage vulgaire de certaines tournures, de certaines expressions latines. En quelques lignes, voilà toute la vérité sur le style macaronique. Veut-on des preuves et des détails? M. Lecoy de La Marche en fournit à souhait. Ce que nous pouvons constater ici, c’est combien ses conclusions sont pleinement d’accord avec la logique et avec le sens commun. Eh quoi ! les prédicateurs du moyen âge, jaloux d’être compris par la foule de leurs ouailles, n’auraient rien trouvé de mieux qu’un jargon incompréhensible! Le beau moyen vraiment d’être entendu des gens que de mêler à la langue qu’ils parlent un idiome qu’ils ignorent, et de leur débiter à tort et à travers des membres de phrases décousus et désarticulés, farcis de mots et de sons inconnus!

Et remarquons-le, les mêmes conclusions s’appliquent tout aussi justement aux productions du XVe et du XVIe siècle qu’aux sermonnaires du XIIIe. L’analogie est complète, et la même méthode pro-