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là le latin, et commençons notre sermon, » et continuer bel et bien en latin ; — ou bien enfin un prédicateur annoncer la traduction d’une citation latine de l’Écriture, et donner cette traduction en quelle langue, suivant le texte écrit ? Encore et toujours en latin.

C’est de cette même donnée que part M. Lecoy de La Marche pour expliquer d’une manière pleinement satisfaisante ces prédications singulières, amalgame hybride de français et de latin, qu’on a qualifiées plus tard de farcies et de macaroniques. Ces deux mots, le dernier surtout, reportent immédiatement la pensée sur les orateurs du XVe et du XVIe siècle, les Menot et les Olivier Maillard, dont les œuvres nous apparaissent accoutrées de ce grotesque habillement, mi-partie antique et mi-partie moderne. On songe involontairement à ce frère Lucas qui débite si plaisamment ce jargon burlesque dans le charmant pastiche qu’on appelle la Chronique du règne de Charles IX. C’est là du reste à peu près tout ce qu’on sait en général de cette bizarrerie philologique ; on sourit, et on ne l’explique pas : se doute-t-on seulement qu’elle n’était pas nouvelle au XVe siècle, et que dès le XIIIe les exemples en étaient nombreux ? l’Histoire littéraire elle-même, ce docte recueil qu’on pourrait appeler l’évangile de l’érudition, n’offre sur ce point que des lumières incertaines et plus propres à égarer qu’à mener à bien le lecteur confiant. Si vous consultez le tome XIIIe, vous y recevrez de M. Daunou ce renseignement clair et net : « ce n’est que vers l’an 1500 que, par condescendance pour la populace ignorante, on s’est avisé d’introduire dans les prédications un mélange assez bizarre de phrases latines et françaises. » Ouvrez maintenant le tome XVIe, et vous verrez le même M. Daunou placer non plus en l’an 1500, mais au XIIIe siècle même l’inauguration de ce singulier langage. « Le mélange du français et du latin se fait voir dès l’année 1262… Les prédications macaroniques deviendront de plus en plus fréquentes dans les âges suivans, jusqu’à ce que les langues vulgaires soient assez formées pour s’emparer des chaires chrétiennes et n’y plus admettre que des citations latines. »

Sans relever la légère contradiction qui se dessine entre ces deux passages, il faut bien y signaler une erreur, et une erreur grave. Tous deux ne s’accordent qu’en un point : c’est qu’au XIIIe comme au XVe siècle le style farci était employé en chaire par les prédicateurs à titre de langage transitoire en quelque sorte, et comme une espèce de concession partielle à l’ignorance de la foule incapable d’entendre une autre langue que le français vulgaire. M. Victor Le Clerc, au tome XXIe, accentue plus nettement encore cette opinion ; les sermons farcis du XIIIe siècle, ceux de Nicolas de Biard par exemple, tout émaillés de proverbes latins, sont à ses yeux