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sait par qui, vers le début du XIIIe siècle, nous n’aurions là qu’un parchemin ni plus ni moins important que vingt autres semblables; si l’on doit y voir au contraire, comme le prouve M. Lecoy de La Marche, une transcription faite de mémoire par un assistant des sermons de Maurice de Sully, quel précieux renseignement ne possédons-nous pas là sur l’usage du français à la fin du XIIe siècle! Pareille question avait été posée et débattue à propos des sermons de saint Bernard, Dieu sait avec quelle ardeur et quelle persévérance. Des flots d’encre ont coulé à ce sujet: les in-folio, les in-quarto, les in-octavo, se sont entassés comme Pélion sur Ossa, hélas! sans plus de fruit. M. Lecoy de La Marche, lui, n’a consacré que quelques pages au problème qu’il a soulevé; mais ces quelques pages, pleines et substantielles, nourries de faits et d’argumens, vont droit au but et frappent au bon endroit. Après les avoir lues, on demeure convaincu, d’abord que les sermons de Maurice de Sully, étant adressés au peuple, ont été prononcés en français, ensuite que les exemplaires français de ces morceaux oratoires, loin d’être la traduction des exemplaires latins, ont dû bien au contraire servir d’original à la rédaction latine, laquelle n’était sans doute qu’une sorte de manuel à l’usage des clercs et des prédicateurs dans l’embarras.

M. Lecoy de La Marche, sur ce chapitre, ne fait qu’appliquer à un point spécial une théorie générale qu’il pose lui-même, à l’égard du XIIIe siècle, en deux phrases courtes et précises : tous les sermons adressés aux fidèles, même ceux qui sont écrits en latin, étaient prêches entièrement en français; seuls, les sermons adressés à des clercs étaient ordinairement prêchés en latin. Ce ne sont pas là des affirmations téméraires. Déductions historiques, preuves matérielles, documens authentiques, tout conspire à faire de ces deux phrases deux axiomes inattaquables. Solidement établi dans cette doctrine, M. Lecoy de La Marche part de là pour ramener à la même solution tous les problèmes particuliers. Voici, par exemple, des sermons d’Alain de L’Isle, d’Élinand, de saint Bonaventure, dont nous ne possédons le texte qu’en latin. Eh bien! l’on ne saurait douter que ces morceaux oratoires n’aient été prononcés entièrement et uniquement en français. Comment hésiter à le croire lorsqu’on voit en tête de ces sermons des mentions aussi claires que celle-ci : « sermon prononcé tout entier en français, » hic sermo totus gallice prononciatus est, lorsqu’on voit surtout dans le corps même du morceau saint Bonaventure dire en latin à ses auditeurs: « Bien que je sache mal le français, la parole de Dieu que je vous apporte n’en a pas moins de valeur, il suffit que vous me compreniez, » — ou bien Gilles d’Orléans s’écrier : « Laissons