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Toutefois ce côté protecteur du rôle de l’église n’est ni le plus ignoré ni le plus imprévu. Fondée sur des traditions immuables, il semble tout naturel que, dans sa perpétuité, elle soit pour tout ce qu’elle adopte comme la conservatrice universelle. Ce que le public à coup sûr est moins tenté de soupçonner, c’est que l’église ait été dès le début, sinon l’initiatrice, du moins la plus zélée propagatrice du français naissant. Rien de plus vrai pourtant : c’est l’église qui par la chaire a été pour cette langue en travail un des plus puissans instrumens de diffusion; ce sont les prédicateurs qui ont été les hérauts de cette révolution du langage; ce sont eux qui ont prêté à l’idiome naissant un concours efficace et une suprême consécration. Parcourez les annales religieuses, vous y verrez à chaque pas les étapes qu’a fournies notre langue marquées par la prédication d’un évêque ou par la décision d’un concile, et cela dès les temps les plus reculés de notre histoire nationale. C’est ainsi qu’au VIIe siècle, en 660, nous voyons saint Mummolin élu évêque de Noyon « parce qu’il était familier non-seulement avec l’allemand, mais aussi avec la langue romane. » Ce n’était pas là un fait exceptionnel, car dès cette époque, un siècle avant Charlemagne, dans les provinces de l’est de la France et sur les bords du Rhin, c’était en langue vulgaire et dans leurs patois respectifs que les clercs expliquaient l’Evangile aux populations ignorantes. Un peu plus tard, vers le milieu du VIIIe siècle, saint Adalhard, abbé de Corbie, prêchait en langue vulgaire « avec une abondance pleine de douceur. » C’est son biographe qui nous l’apprend, et, comme s’il entrait dans nos vues, il précise son témoignage en distinguant soigneusement cette langue vulgaire du latin et de l’allemand, que saint Adalhard « possédait à merveille. » — «Mais parlait-il en langue vulgaire, c’est-à-dire en langue romane, on eût dit qu’il ne savait que celle-là. » Au IXe siècle, au Xe surtout, les exemples se multiplient : Gerbert, au concile de Bâle, s’excuse des imperfections de son discours sur ce qu’il répète l’œuvre d’un autre orateur en la traduisant de l’idiome vulgaire. Aymon de Verdun, au concile de Mouzon, prononce une harangue tout entière en langue romane, exemple plus frappant encore, car cette fois l’orateur s’adressait non pas à une foule ignorante incapable de comprendre un langage savant, mais à des clercs, à des savans nourris de l’étude des lettres latines. Ces doctes novateurs ne s’aventuraient pas d’ailleurs sous la seule inspiration d’un caprice isolé : ils ne faisaient qu’obéir aux prescriptions répétées de l’église. L’église n’avait pas attendu si longtemps pour comprendre quel rôle lui traçaient dans cette révolution philologique les intérêts de sa mission sur la terre. Loin de s’inféoder exclusivement au latin expirant, comme les Alcuin et les Éginhard, et de s’isoler ainsi de