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et précipitent sur l’Orient des foules dévouées sans regret aux souffrances et au martyre. Pourtant, à côté de la verve naturelle et spontanée, on saisit dans cette renaissance oratoire la trace de l’éducation antique. Partout on retrouve l’ineffaçable empreinte du vieux art; il reparaît sous la jeune inspiration comme un germe indestructible. On ne rencontre plus au XIIe siècle de prédicateur, si naïf et si simple qu’il soit, qui ne sacrifie volontairement ou non à la rhétorique ancienne; tous en sont imprégnés, depuis l’évêque jusqu’au simple clerc : à mesure que la prédication prend un nouvel essor, l’union se resserre entre la science et l’inspiration, et chaque jour aussi la première absorbe davantage la seconde. Les dominicains et les franciscains eux-mêmes, qui avaient d’abord tenté de vulgariser l’enseignement de la parole sacrée, et s’étaient voués à la prédication populaire, cèdent bientôt au courant général, et, dès la seconde moitié de ce XIIIe siècle qui avait vu naître leur entreprise, sont les premiers à s’asseoir sur les bancs des écoles et à se transformer en rhéteurs, en dialecticiens. Ce mouvement se propage, toujours plus puissant et plus irrésistible, durant le cours du siècle, si bien que vers la fin l’éloquence de la chaire, envahie par cet art oratoire dont elle a sauvé les débris, n’est plus elle-même, hélas! que de la pure rhétorique.


II.

Et maintenant êtes-vous philologue? êtes-vous curieux de ce qui touche à l’histoire de la formation, des vicissitudes et du triomphe de notre langue française? Interrogez encore les annales de la chaire, il y a là tout un trésor de faits nouveaux et concluans. Tout le monde sait que l’église a contribué à perpétuer chez nous l’étude du latin; mais on surprendrait beaucoup de gens, si on leur disait combien puissante a été cette action [de l’église pour maintenir la vieille langue des Romains. De la fin du Ve jusqu’au XVIe siècle, époque de la renaissance des études classiques, le latin en effet, — non pas le latin vulgaire, corruption du vrai latin et germe du français moderne, — le latin littéraire, le latin qu’écrivaient et parlaient Tite-Live et Cicéron, tombé à l’état de langue ancienne, ne fut enseigné que dans les monastères ou écoles ecclésiastiques, étudié que par les clercs, parlé que par les prédicateurs dans leurs sermons aux religieux, ad cleros. Sans l’église, ce noble et pur langage eût été, dans la plus rigoureuse acception du mot, une langue morte, étouffé qu’il était par le latin vulgaire, seul connu du peuple, puis par le bas latin, dont l’administration française infesta tous les parchemins jusqu’au XVIe siècle.