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utiles et nécessaires la science de bien dire et l’art de persuader. Aussi dans les trois premiers siècles, pendant que par tout l’empire les descendans plus ou moins dégénérés des Cicéron et des Hortensius font assaut d’élégances et de raffinemens, pendant que dans toutes les villes d’Italie et de Gaule les rhéteurs initient des milliers de disciples aux secrets d’un art aux abois, les apôtres de l’Évangile pour toute rhétorique n’ont que leur enthousiasme et la grâce divine qu’ils appellent sur ceux qui les écoutent. Telle est aux premiers jours du christianisme l’éloquence sacrée, et non-seulement dans les prédications ardentes qu’inspirait au premier néophyte venu le seul feu de la foi, mais dans ces courtes improvisations où l’évêque, le pasteur, pendant la messe, expliquait à son troupeau l’évangile du jour, dans l’homélie enfin, c’est le terme consacré, comme dans la harangue aux païens.

Au temps de Constantin, tout change de face : la prédication se métamorphose. Un double mouvement se produit. Depuis longtemps, il n’est plus question de la tribune aux harangues, et les disciples des rhéteurs ne savent plus que faire de la vaine science qu’ils ont acquise; c’est le moment où l’église commence à sentir le besoin d’appeler à son aide cette science expirante et presque abandonnée. Il ne s’agit plus d’ouvrir les yeux aux païens en les frappant de la lumière de la vérité comme d’un éclair céleste. Il faut enseigner régulièrement, instruire plutôt que toucher, substituer la doctrine à l’enthousiasme. Avec Constantin sur le trône, l’église nouvelle est la maîtresse du monde; mais les périls conjurés à l’extérieur renaissent dans son propre sein : les fausses interprétations, les erreurs de doctrine, menacent de lui être plus funestes qu’autrefois les plus sanglantes persécutions, car « du sang des martyrs il naissait des chrétiens, » tandis que la moindre hérésie ébranle la religion dans ses fondemens mêmes. Il faut donc argumenter contre ces corrupteurs du dogme, il faut combattre par leurs propres armes ces hérésiarques qu’égarent justement la plupart du temps leur science même et leur habileté. Il faut enfin que l’église se résigne à puiser dans l’antique arsenal de la rhétorique et de la dialectique au moment même où, faute de champ de bataille, ces vieilles armes vont demeurer inutiles dans les mains accoutumées à les brandir. L’alliance de l’art oratoire, de l’art profane, avec la parole sacrée, se consomme donc, et dès lors elle est indissoluble. La science tout humaine du raisonnement et de la logique prête son aide à l’inspiration divine, et à son tour la tradition sainte porte à travers les âges l’éloquence profane, et la sauve de la mort en l’associant à son indestructible vitalité.

L’éloquence, où survit-elle au IVe et au Ve siècle, sinon dans la