semble vouloir se faire inaccessible ; on la laisse seule continuer son chemin, effarouché qu’on est par ses façons rébarbatives ; la vérité historique, la vraie vérité, celle qui repose sur l’étude approfondie des faits et des documens, effraie ceux qu’elle devrait séduire, et, loin d’être la richesse commune, demeure le privilège de quelques initiés.
Aussi faut-il, lorsqu’on rencontre par bonheur un livre de nature à intéresser aussi bien qu’à instruire, souhaiter la bienvenue à cet hôte précieux, l’accueillir et l’aider à se produire dans le monde. À ce titre, aucun ouvrage, mieux que celui de M. Lecoy de La Marche, ne mérite l’attention et la sympathie. Ce livre est par excellence une œuvre d’érudition ; il est fait suivant toutes les règles de la critique moderne ; l’érudit le plus exigeant et le plus exclusif ne trouverait rien à reprendre à la méthode qu’a suivie l’auteur ; on sent que M. Lecoy de La Marche est un digne élève de cette école historique qui, dédaignant les renseignemens de seconde main et les traditions plus ou moins spécieuses, ne se fie qu’à elle-même, remonte aux sources, et va déterrer la vérité enfouie dans le grimoire des textes et dans la poussière des parchemins ; en un mot, c’est, s’il en fut jamais, de l’érudition consciencieuse, et cependant le volume se lit avec un intérêt véritable et soutenu. Sans doute on pourrait dire que M. Lecoy de La Marche s’est montré un peu avare de ces vues d’ensemble, de ces aperçus généraux qui élargissent une question et y font pénétrer la lumière. On désirerait un peu plus de ces résumés à la fois brefs et nourris qui sont comme les jalons du chemin ou plutôt comme les considérans du jugement final, et qui permettent au lecteur qui n’est pas du métier de bien suivre l’affaire sans se noyer dans le détail des pièces ; on souhaiterait peut-être enfin moins de sobriété d’appréciation dans tout ce qui n’est pas du domaine de la pure érudition historique. Hâtons-nous de le dire, cette sobriété est toute volontaire, toute préméditée. L’auteur prend soin de nous avertir qu’il « laissera la parole aux faits et aux documens pour se borner à l’office d’écho. » Il y a là un juste dédain pour ces banalités sonores qui, sous couleur de considérations générales, ne servent la plupart du temps qu’à jeter de la poudre aux yeux, et tiennent trop souvent lieu de la science absente. M. de La Marche se préserve de ce travers, on ne peut que l’en féliciter ; mais on doit le féliciter aussi de n’avoir pas observé à la lettre la loi qu’il s’imposait. S’il se fût rigoureusement réduit « à l’office d’écho, » nous ne rencontrerions pas dans son ouvrage maint jugement aussi sain que solide, nous ne lirions pas mainte page où se révèlent une rare sûreté de goût, une remarquable élévation de pensée.