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chancelier de la confédération du nord, M. de Beust et M. de Bismarck. Ce n’est pas que d’aucun côté on veuille pousser ces querelles bien loin, on ne cesse de protester au contraire des intentions les plus pacifiques ; mais enfin on reste dans cet état d’expectative où l’on semble toujours plus disposé à se piquer et à s’aigrir qu’à se rapprocher. Les publications du livre rouge autrichien sont l’occasion habituelle de ces petites explosions de mauvaise humeur, et le dernier recueil de documens diplomatiques qui vient d’être mis au jour à Vienne n’a pas manqué de produire son effet invariable. M. de Beust a une diplomatie froide et fine qui a visiblement le don de remuer la bile de M. de Bismarck. Tantôt il insinue que le chancelier de la confédération du nord se serait plaint à l’envoyé autrichien de la propagande anti-prussienne du prince de Metternich à Paris ; tantôt, par une dépêche adressée à Dresde, il va au-devant des préventions qu’on aurait pu inspirer au cabinet saxon contre son intervention dans le différend franco-belge. On a beau répondre de Dresde qu’il n’y a eu aucune suggestion venue de la Prusse au sujet de l’affaire belge, on a beau répéter à Berlin que M. de Bismarck n’a pu se plaindre à l’envoyé d’Autriche, puisqu’il ne s’est pas entretenu avec lui depuis plus de huit mois : le coup n’est pas moins porté ; le trait est lancé, et M. de Beust n’a guère arrangé les choses en déclarant récemment devant les délégations réunies à Vienne que l’Autriche ne demandait pas mieux que de témoigner ses dispositions amicales à la Prusse, mais qu’elle ne trouvait pas une parfaite réciprocité à Berlin. C’est toujours cette guerre impalpable et transparente qui a eu pour épisode la publication de la lettre de M. d’Usedom, la divulgation de la dépêche prussienne surprise et mise au jour par l’état-major autrichien. M. de Beust pousse imperturbablement sa pointe ; à Berlin, on se moque de la littérature diplomatique du chancelier impérial, qu’on résume ainsi : « déprécier la Prusse, s’allier avec la France et se mettre soi-même en scène. » Le fait est que ce sont là des relations singulières, qui ressemblent passablement à un duel à peine dissimulé et toujours prêt à recommencer.

Ce serait sans doute une naïve illusion de croire qu’après la guerre de 1866 et dans la situation équivoque créée par cette guerre une amitié bien sincère et bien franche puisse renaître si tôt entre la Prusse et l’Autriche. Évidemment tout n’est pas fini, M. de Beust et M. de Bismarck ne sont que les représentans naturels d’antagonismes inévitables ; mais qui rompra la trêve ? qui commencera, ou mieux encore qui a le pouvoir de commencer ? Ce n’est pas l’Autriche ; l’Autriche a trop à faire chez elle, elle vit au milieu de tous ces périlleux problèmes que lui impose la diversité des races rassemblées sous son drapeau. Elle a son équilibre intérieur et son rôle européen à retrouver ; elle ne le peut que par une politique patiente, intelligente et libérale. Ce n’est pas même une question d’aujourd’hui seulement, c’est l’éternelle histoire de