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REVUE. — CHRONIQUE.

Les pairs de leur côte ne manquaient pas d’accuser le premier ministre d’arrogance, et semblaient tout disposés à confirmer leurs premiers votes. Encore un pas, et tous les pouvoirs étaient aux prises. On a trouvé qu’il serait dangereux d’aller plus loin, qu’on avait assez combattu pour l’honneur du drapeau. Une conférence entre lord Granville, au nom du ministère, et lord Cairns, au nom de l’opposition de la chambre des pairs, a tout arrangé. On a cédé un peu des deux côtés, et, selon l’habitude anglaise, la lutte a fini par un compromis adopté par les deux chambres, définitivement sanctionné par la reine. Le ciel s’est rasséréné tout d’un coup, et on a même échangé des complimens. Il y a sans doute des esprits absolus qui trouvent déjà que M. Gladstone a eu tort de faire des concessions, qu’il a dénaturé, presque déshonoré son bill en sacrifiant quelques mots. M. Gladstone a procédé en véritable ministre anglais, comme ont procédé avant lui tous ceux qui ont mis la main aux œuvres les plus libérales. Qu’il ait cédé sur quelques points afin d’éviter un conflit qui pouvait être une périlleuse épreuve pour les institutions nationales, la réforme n’existe pas moins, le caractère officiel de l’église d’Irlande n’est pas moins aboli, et on est arrivé à un bill devant lequel l’opposition, représentée par lord Cairns dans la chambre des pairs, par M. Disraeli, par sir Roundell Palmer dans la chambre des communes, a fini par abaisser ses armes. Le combat terminé, il ne reste plus chez les adversaires de la veille qu’un sentiment égal de la puissance de la loi. Ces compromis, survenant toujours à propos, sont évidemment une victoire de l’esprit politique anglais ; mais ils montrent aussi que dans ces luttes, même lorsqu’elles finissent par une transaction, les vieux lords ne peuvent plus rien empêcher : ils suspendent à peine un instant la marche des idées libérales en achevant d’user dans des résistances désormais impossibles ce que l’aristocratie britannique garde encore d’autorité et de prestige.

Ainsi passent les crises anglaises ; mais les crises allemandes, quand et comment finiront-elles ? L’Allemagne n’a pas, comme l’insulaire Angleterre, l’avantage d’être « un fragment détaché du volume du monde, » selon le mot de la jeune Imogène dans Shakspeare ; elle fait partie du monde continental, u elle en est et elle y est. » Ses crises sont complexes comme sa situation. Les questions qui l’agitent, qui la passionnent, sont toujours à demi intérieures, à demi extérieures ; quand on les croit assoupies, on s’aperçoit bien vite, à quelque signe inattendu, que les événemens de 1866 n’ont rien fini, que la paix n’est qu’une trêve, que la Prusse et l’Autriche, si occupées qu’elles soient de leurs affaires respectives, trouvent toujours le temps de se surveiller mutuellement, de se dire des choses désagréables, comme de bonnes amies qui se connaissent trop. La paix allemande, elle se résume vraiment dans cet état perpétuel d’escarmouches où vivent le chancelier de l’empire d’Autriche et le