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REVUE. — CHRONIQUE.

de réformateurs. Aujourd’hui il n’y a plus à y revenir, et le meilleur moyen d’en finir avec cet état d’indécision qui se prolonge depuis quelques semaines, c’est de procéder hardiment, rapidement, de faire de cet acte additionnel du second empire le préservatif efficace des révolutions par une liberté sérieuse, par la possibilité de tous les progrès.

En fait de crises, il y en a de toute sorte, à tous les instans et un peu partout, hors de la France aussi bien qu’en France. Les affaires du monde ne sont qu’une succession de crises politiques, nationales, religieuses, économiques, qui passent ou se reproduisent, et courent sans cesse à la surface de l’Europe. Elles naissent, ces crises, tantôt d’un événement tout moral, comme la réunion d’un concile dont les préliminaires commencent à être discutés même par la diplomatie, tantôt d’une laborieuse réorganisation mêlée de vivaces antagonismes, comme en Allemagne, tantôt d’une révolution qui a de la peine à se débrouiller et à se fixer, comme en Espagne. L’Angleterre, la libre Angleterre, est bien toujours le modèle des pays où les crises se nouent et se dénouent sans rien ébranler, où l’on s’arrête juste à la limite qui sépare les viriles agitations des conflits stérilement violons. L’Angleterre n’a certes pas peur des grosses questions ; elle les aborde au contraire résolument, avec la confiance d’une nation qui sait qu’elle garde assez de puissance sur elle-même pour ne pas se laisser emporter aux coups de tête et aux aventures. Tant que la lutte est ouverte, on ne s’épargne pas ; on se sert de toutes les armes pour conquérir l’opinion, les associations se forment et entrent en campagne, les meetings se succèdent, les pouvoirs publics eux-mêmes usent jusqu’au bout de tous leurs droits. On fait la guerre passionnément, si passionnément qu’il y a des heures où l’on a l’air de ne plus pouvoir s’entendre, de toucher à quelque choc meurtrier. Pas du tout ; au dernier moment, une pensée de transaction surgit toujours entre les combattans. De part et d’autre, on fait des concessions ; ceux qui voulaient avoir tout n’ont qu’une partie de ce qu’ils demandaient ; ceux qui ne voulaient rien céder sont obligés de plier devant la puissance de l’opinion. On s’arrange, on rejette dans l’oubli les paroles irritées qui ont été échangées, la paix est signée, et un progrès de plus est accompli sans qu’il en coûte rien à l’intégrité des institutions ou à la tranquillité publique. C’est ce qui vient d’arriver encore une fois à l’occasion du bill sur l’église d’Irlande, qui a triomphé de toutes les difficultés et a pu recevoir la sanction royale au moment où l’on croyait presque à un conflit entre les deux chambres, à la nécessité de quelque acte d’autorité nationale pour vaincre définitivement la résistance des lords.

Certes, si depuis deux ans il est une réforme portée en quelque sorte par un irrésistible courant d’opinion en Angleterre, c’est cette abolition de l’église officielle d’Irlande, et d’un autre côté l’heureux, le victorieux représentant de ce mouvement d’opinion, M. Gladstone, a mis assuré-