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Vois-tu, ces dévoûmens sont niais, s’ils sont très beaux.
Les hommes, je le sais, se complaisent trop vite,
Le pied sur ces cercueils, à poser en héros,

Et j’ai dégoût d’ouïr la manière hypocrite
Dont ils disent toujours de ces doux êtres morts :
« Un ange prie au ciel pour moi. Pauvre petite ! »

Tu m’as trop bien appris que l’empire est aux forts.
Mourir, c’est oublier. J’aime mieux ma misère.
Tu ne me verras pas succomber sans efforts.


Elle s’exile enfin de sa présence, non sans des menaces encore ; mais la colère fait place à l’énergie. La courageuse jeune fille prête l’oreille à la voix qui lui dit de vivre par la foi, par la liberté, par le devoir. Elle fait le sacrifice suprême, et brûle son cher trésor de lettres et de fleurs séchées. C’était la première et c’est la dernière page de son roman. Allez et dispersez-vous au vent, cendres légères ; allez aussi, strophes touchantes, pleines de noblesse et de sensibilité ! Qu’importe maintenant si par hasard les douleurs que vous chantez ont été de vraies larmes ? Transfigurées par la poésie, elles deviendront le souvenir de ceux qui veulent entendre dans les vers l’accent d’une âme.

Et maintenant que nous avons, en partie du moins, vidé le coffret qui renferme les chères reliques d’un amour de jeune fille, laissons l’héroïne, quelle qu’elle soit, et disons les espérances que nous a fait concevoir le talent de l’auteur, comme aussi les réserves que la sincérité de nos éloges nous oblige d’exprimer. Il est remarquable que la femme poète de notre temps qui a le plus osé être elle-même, Mme Desbordes-Valmore, soit aussi celle qui se montre le moins préoccupée de la question d’art. Ses bons vers ont toujours coulé de source. A côté de ceux que les meilleurs écrivains n’auraient pas hésité à signer, on en trouve chez elle qui sont d’une marque un peu effacée ou vieillie. Mlle Siefert, plus personnelle encore, a beaucoup aussi de ces traits qui partent d’eux-mêmes et qui semblent le jet naturel du talent féminin ; mais les secrets de l’art ne lui sont ni indifférens ni étrangers. L’abus des épithètes est par momens l’une de ses imperfections ; elle ne rime pas toujours richement : dans une jeune fille de dix-huit ans, ces faiblesses, dont le petit nombre étonne, sont une grâce de plus. Elle connaît les poètes modernes, elle a étudié les rhythmes nouveaux ; on peut dire même qu’elle en invente. Je ne saurais donc m’étonner que M. Victor Hugo ait exercé sur elle une influence assez profonde, tandis que sa devancière a trouvé dans Lamartine, sinon un modèle, du moins les sons aimés qui ont réveillé la musique intérieure. Il fallait la note ardente de la Tristesse d’Olympio pour évoquer cette création d’un type inattendu, d’une vierge passionnée autant que pure.