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au rire, les Roses, l’Aveu, les Brumes et surtout la Tombe ont pour nous le charme particulier de confidences que nous fait l’auteur, et d’entretiens qui ne se produiront pas devant la rampe. Heureux les poètes, puisqu’ils ont le privilège de fixer des souvenirs tels que celui qui est contenu dans l’Aveu, heureux encore les poètes, puisqu’ils savent consacrer leurs douleurs et leurs larmes comme dans ces vers de la Tombe :


Le premier que je vis mourir
(J’étais trop jeune pour souffrir,
On souffre à l’âge où l’on espère),
Je le pleurai, c’était mon père.

Le deuxième (je le revois)
C’était mon frère cette fois ;
Je l’embrassai calme et farouche,
Doute au cœur, blasphème à la bouche.

Mais le jour où Dieu me la prit
(La troisième fois c’était elle,
Elle, ma mère !) j’ai souri
Et j’ai dit : l’âme est immortelle !

Depuis elle, depuis ce temps.
Je n’ai plus ni pleurs, ni colère.
Et je ne souffre plus, j’espère.
Et je ne doute plus, j’attends.


Pourquoi aimons-nous à surprendre des larmes dans les poètes qui ont le don du rire ? On peut, hélas ! douter de la sincérité du rire, ainsi que de tout le reste dans la vie humaine : comment douter de la douleur et de la mort ? La destinée se charge à chaque instant d’en prouver la cruelle réalité. Molière, dans ses pages les plus étincelantes, peut attrister quelquefois ; nous ne connaissons que deux ou trois lignes de lui où il ait sérieusement parlé de la mort, et elles suffisent pour nous assurer que ce qu’il savait le mieux faire, c’était de pleurer[1].

Dans le courant des idées que nous avons exposées et des pages qu’on vient de lire, on a pu suivre une progression constante de l’œuvre d’art à l’œuvre humaine ou personnelle. Par une rencontre curieuse, nous sommes amené à clore cette évolution de la poésie contemporaine par l’ouvrage le plus personnel, à notre avis, le plus remarquable peut-être et certainement le plus contraire aux habitudes du public, l’ouvrage d’une jeune fille, les Rayons perdus, de Mlle Louisa Siefert. À certaines pages de ce livre, on croirait que l’auteur nous dit sa propre histoire. Dans les deux sonnets placés en tête du volume, elle se compare à la biche craintive qui, sur le

  1. Lettre d’envoi du sonnet à La Mothe-Levayer sur la mort de son fils.