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changer de costume, apportant avec lui ce qu’il avait, des vers charmans et une sensibilité qui n’est pas étudiée. M. Edouard Pailleron est un écrivain autrement complexe. Qu’il soit un véritable poète dramatique, c’est ce que des œuvres toujours en progrès et en dernier lieu les Faux Ménages ont mis au-dessus de toute discussion ; mais, lors même qu’il n’eût pas donné, avec Amours et Haines, un nouveau gage aux amis de la poésie proprement dite, ils trouveraient dans une foule de beaux vers de sa dernière comédie un accent auquel ils ne peuvent se tromper. Il y a dans M. Pailleron deux natures de talent. L’une, active et impersonnelle, pleine de jeunesse et de saillies, unit la vigueur à la finesse, deux qualités qui se combattent parfois en lui. Appliquée à l’observation des hommes, à la peinture des mœurs et à la connaissance du théâtre, elle a produit l’écrivain applaudi à la scène. L’autre, personnelle et méditative, se plaît dans les émotions délicates et dans l’expression des sentimens affectueux, au point de faire douter parfois que cette sensibilité puisse se rencontrer avec cette vigueur. C’est comme la source principale de sa veine lyrique ; mais ici même son tempérament ne perd pas ses droits, et le lyrisme sous sa plume prend des allures satiriques. Dès le principe, et avant qu’il se fût essayé dans cette œuvre du démon qu’on appelle la comédie, il montrait cette double tendance de sa nature littéraire. Son premier volume se divisait matériellement en deux parties, celle de l’ode et celle de la satire. Le titre du second, Amours et Haines, indique la même division, au moins dans la pensée. Tennyson trace le portrait idéal d’un poète « ayant la haine de la haine, le mépris du mépris, l’amour de l’amour. »


Dowered with the hate of hate, the scorn of scorn,
The love of love.


Il ne faut pas trop se fier à ces poètes angéliques : un beau jour, les cordes moelleuses de leur lyre se brisent, et ils les remplacent par des cordes d’airain. Les haines de M. Pailleron ne sont pas tellement cruelles qu’elles l’empêchent de trouver le mot plaisant. Malgré l’air menaçant de son titre, je ne crois pas qu’il y ait dans tout son volume la dose nécessaire de fiel pour écrire une seule satire à la Juvénal. La vraie satire, celle qui ne rit pas, qui désigne ses victimes et qui les déchire, est presque impossible aujourd’hui. En tout cas, ce n’est pas M. Pailleron qui l’écrirait ; il a trop la vocation du poète comique, et rien ne diffère plus à notre sens de la comédie que la satire véritable. Aussi regardons-nous ses Drôles, son Eudore et son Pangloss comme des études théâtrales pleines de promesses, comme des cartons d’après lesquels l’auteur peindra quelque jour des fresques durables. Au contraire, la Hêtrée, Ode