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Pauvre poète ! est-on tenté de s’écrier, être si jeune et avoir déjà un passé fatal ! Combien nous en avons vu des Mussets qui étaient amoureux et malheureux par mode, et qui faisaient par anticipation des « confessions d’un enfant du siècle ! » Pour M. Coppée, ces fantaisies d’imitation n’étaient que les incertitudes d’un talent qui se cherchait, et il dit lui-même dans les Intimités :


Au fond je suis resté naïf, et mon passé,
Bien que sombre, n’a pas tout à fait effacé
De mon cœur la première et candide chimère…
… J’en ai quelquefois pour des heures
A me bercer alors d’espérances meilleures,
A rêver d’un doux nid, d’un amour de mon choix,
Et d’un bonheur très long, très calme et très bourgeois.


Voilà, je gage, M. Coppée peint par lui-même et tel qu’il est… Pourquoi n’en pas convenir, dût-il par cet aveu rompre avec Baudelaire et M. Leconte de Lisle ?

À ses deux recueils antérieurs, nous préférons ses Poèmes modernes et à ceux-ci son petit acte du Passant. Sur les sept pièces qui forment le volume des Poèmes modernes, il y en a cinq en vers alexandrins coupés souvent d’une manière heureuse et neuve, souvent aussi désarticulés, suivant l’exemple donné de loin en loin par M. Lecomte de Lisle dans ses Poésies barbares et naturellement exagéré par les disciples. De ces cinq morceaux, trois forment de petites scènes dont la plus intéressante est le Banc, idylle surprise aux Tuileries dans la conversation entre un soldat et une bonne d’enfant ; les autres sont deux petits drames dont le meilleur est la Bénédiction. Un vieux sergent raconte qu’à Saragosse des grenadiers français, outrés de l’obstination des prêtres espagnols, tirent sur un moine qui les bénit avec le saint sacrement. La situation est dramatique ; point de description, tout est mouvement ; le vers est naturel, populaire sans vulgarité. Le dernier seulement nous blesse comme une fausse note :


Amen ! dit un tambour en éclatant de rire.


Ce vers et cet éclat de rire sont du pur Gavroche ; l’auteur a oublié qu’il n’y a en présence que la fureur du soldat et l’exaltation du martyr. Ce n’est pas seulement la délicatesse constante des sentimens qui fait la supériorité du Passant, c’est la logique du cœur satisfaite jusqu’au bout et surtout à la fin. Un dernier mot peut gâter tout un drame.

M. François Coppée est un jeune talent que le théâtre a emprunté à la poésie. Il s’est en quelque sorte laissé faire, se rendant à l’invitation qui lui était adressée, sans effort pour se déguiser, sans