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éloquens villageois. Poète descriptif, il est en tiers avec Pierre et Pernette sur la cime des montagnes dans le quatrième chant, que les lecteurs ont préféré, et il leur souffle leurs poétiques effusions. Il ne semble pas qu’on entende une jeune et robuste fermière qui toutes les semaines pétrit le pain et fait le ménage tous les jours : on entend réellement la Psyché primitive de l’auteur, Psyché vivant aux champs. M. de Laprade interprète ce qu’il décrit ; mais cette louange devient une critique de son épopée. L’auteur de Pernette ne s’oublie point assez lui-même. Après avoir lu son poème, nous savons, à n’en pas douter, ses opinions religieuses, politiques, la nature de ses goûts, ses sympathies, ses répugnances. Sans parler des grandes épopées classiques, si nous ne connaissions Goethe que par Hermann et Dorothée, que pourrions-nous dire de lui ? Qu’il est humain, qu’il se plaît aux peintures du bonheur et de la vertu, qu’il fait aimer les beautés de la vie jusque dans les humbles conditions ; mais quel est son symbole philosophique ou religieux, quel est son parti ? est-il pour le mouvement ou pour la résistance, pour les idées françaises ou pour l’ancien régime ? Son récit nous apprend seulement qu’Hermann aime Dorothée, que des infortunes particulières perdues au milieu d’un grand désastre peuvent être pathétiques, et qu’il n’est pas nécessaire de chercher bien haut ni bien loin pour nous intéresser à une destinée humaine. Combien les amours de Pierre et Pernette sont loin de ce désintéressement ! Les idées et les passions qui remplissent leurs cœurs ne sont ni assez près de la nature pour éveiller notre curiosité, ni assez loin de nous pour avoir la fraîcheur de la pastorale. Pernette a réussi précisément par ce qui l’empêche d’être une fable rustique.


II.

La plupart des poètes que nous venons d’apprécier et de ceux qui leur ressemblent sont étrangers à la science, ou, s’ils se donnent pour des penseurs, s’ils prononcent les grands mots d’idée ou d’idéal, ce sont le plus souvent des paroles sans conséquence, des thèmes capricieux sur lesquels ils promènent leur fantaisie. Par cette absence de doctrine précise, ils se montrent fidèles à l’école poétique dont le rhythme et la couleur étaient la grande préoccupation ; ils sont les derniers desservans de la grande église romantique. Amoureux de la forme comme leurs maîtres, ils ont comme eux dédaigné ou méconnu le grand mouvement qui a renouvelé autour d’eux la philosophie et l’histoire. Tel n’est pas le caractère de quelques jeunes écrivains sur lesquels il est juste d’appeler l’attention.