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la deviner d’après des livres. M. Victor de Laprade, dans la petite épopée de Permette, décrit encore assez pour figurer dans cette partie de notre étude ; M. André Theuriet et M. André Lemoyne, dans le Chemin des bois et les Charmeuses, se montrent tout autant animés de l’émotion personnelle que du sentiment des objets extérieurs.

Nous aimons à rencontrer dans M. André Lemoyne les deux strophes suivantes qui nous aident à expliquer notre pensée.


Le rossignol n’est pas un froid et vain artiste
Qui s’écoute chanter d’une oreille égoïste,
Émerveillé du timbre et de l’ampleur des sons :
Virtuose d’amour pour charmer sa couveuse,
Sur le nid restant seule, immobile et rêveuse,
Il jette à plein gosier la fleur de ses chansons.

Ainsi fait le poète inspiré. Dieu l’envoie
Pour qu’aux humbles de cœur il verse un peu de joie.
C’est un consolateur ému. De temps en temps,
La pauvre humanité, patiente et robuste.
Dans son rude labeur, aime qu’une voix juste
Lui chante la chanson divine du printemps.


Ce n’est donc pas un écho passif des sons extérieurs, ce n’est pas non plus le contour exact et les splendides couleurs des objets, qu’il suffit de rendre avec fidélité. Il ne s’agit pas uniquement de je ne sais quels secrets d’art et d’harmonie savante. Éviter les élégances banales, les hémistiches communs, et, si nous devons descendre au jargon des ateliers, avoir horreur des vers poncifs, c’est la première condition sans doute pour mériter d’être lu. La règle n’est pas nouvelle. Le vieux Boileau l’exprimait lui-même. « Quand je fais des vers, écrivait-il à Maucroix, je songe toujours à dire ce qui ne s’est point encore dit en notre langue ; » mais celui qui possède ce commencement de l’art, cette initiation du style, ne doit pas être salué du titre de poète. Il faut des sentimens et des pensées. Interrogez votre âme, vous y trouverez les dieux, et la poésie est chose divine. Une pièce de M. André Theuriet, les Fleurs d’automne, fera comprendre la différence qui sépare le talent de peindre la nature en l’interprétant de celui de la rendre par un procédé plastique. L’exemple est d’autant plus favorable que le point de départ est le même : l’auteur prend son sujet, comme le ferait M. de Banville, dans un musée ; il décrit le tableau des Fleurs d’automne de Philippe Rousseau au Salon de 1866. Tandis qu’il considère la toile triste, mais sympathique, du peintre, une autre peinture se trace dans son âme, et il la reproduit dans les gracieux vers qui suivent :