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quiétisme du désespoir : nés sous le même climat que les vieux gymnosophistes de l’Inde, on dirait qu’ils se réfugient dans les sombres rêveries du même panthéisme. Tel est du moins le caractère de M. Leconte de Lisle dans les vers où sa fierté s’en prend à Dieu de tout ce que la mélancolie des autres rejette sur les hommes. Nous demandons avec quel à-propos des jeunes gens qui peut-être n’ont à se plaindre que de la négligence qu’on témoigne pour leurs ouvrages se feraient les échos d’une philosophie excessive, exotique, dont le charme passager est pour eux ce qu’est, pour les personnes nerveuses, une musique en ton mineur.

Ils ont de même trop imité la mythologie de celui qu’ils appellent leur maître. Ce n’est pas qu’elle lui appartienne à titre de premier occupant : sans compter les imitations d’André Chénier, qui n’étaient pas rares, des tentatives avaient été faites pour rajeunir les dieux païens par les symboles ; mais il fallait laisser à M. Leconte de Lisle le paganisme purement descriptif : la beauté sculpturale de son vers pouvait seule le soutenir. D’ailleurs sa mythologie paraît une réaction contre l’époque où il écrit, réaction contre l’esprit et les croyances modernes, réaction contre la poésie très personnelle des écrivains de notre siècle. Il remonte au siècle de Périclès, même au cycle des poèmes indiens, pour fuir à une distance infinie des hommes et des choses de notre temps ; il consacre ses vers à Jupiter et à Junon, je me trompe, à Zeus et à Héré, pour se mettre à l’abri du fanatisme ou de la superstition religieuse ; il vit parmi les marbres, afin que rien ne vienne éveiller son cœur ou remuer son âme. C’est déjà trop pour un poète d’un remarquable talent de demeurer quinze ans sur ce fonds, qui paraît épuisé, et dans ce monde, qui est bien mort ; que sera-ce d’un groupe nombreux de jeunes écrivains qui n’ont ni les mêmes raisons ni les mêmes moyens pour vivre au milieu de la poussière des nécropoles ?

La description plastique semble avoir dit son dernier mot ; les sonnets attardés sur une statue nouvelle ne conservent la chance d’être lus que durant l’exposition de l’année courante. M. Théodore de Banville en ce moment représente seul ce genre avec ses Exilés. Voilà peut-être tout ce qui reste aujourd’hui de l’école de M. Gautier, la plus favorisée de la jeunesse il y a quinze ans, la plus connue alors, grâce au public des ateliers. C’est par une suite de petites pièces dont les Princesses forment le titre commun que M. de Banville rappelle surtout le maître auquel il a réservé son culte le plus fidèle. Ces princesses sont des déesses de la fable ; en leur compagnie, l’auteur a placé Hérodiade, la belle ennemie de saint Jean-Baptiste, et la reine de Saba. Chacune est logée dans un sonnet