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du plaisir qu’il procure, ceux-ci ne voient plus rien qu’on puisse exiger de lui. Un des traits les plus caractéristiques de la période littéraire correspondant au second empire, c’est que jamais l’école de l’art pour lui-même n’a été plus en vue. Voilà peut-être d’où vient l’optimisme d’un rapport officiel adressé l’année dernière au ministre de l’instruction publique sur le progrès de cette partie de la littérature. Une autorité trop confiante et une complaisance trop empressée en ont dicté les conclusions. Ce document restera du moins comme un monument curieux du progrès accompli de nos jours, non par la poésie en général, mais par celle qui n’est qu’une jouissance de l’esprit et des oreilles. Descriptive et musicale, cette école se regarde comme l’héritière la plus directe des maîtres qui ont renouvelé chez nous le rhythme et la couleur. En même temps, comme elle est l’adversaire de la poésie intime et profonde dont Alfred de Musset a été la plus puissante expression, elle s’efforce d’ôter à tous les sentimens, même à l’amour, ce qu’ils ont de personnel ; elle affecte un calme inaltérable qui la fait ressembler à ces dieux de marbre dont elle aime à recommencer perpétuellement l’ébauche. Au reste elle a tort de se croire seule en possession de la tradition et des procédés des maîtres : plus d’un poète de nos jours sait manier le rhythme et la couleur, plus d’un sait décrire et peindre la nature sans oublier qu’il a un cœur, sans affecter la froideur olympienne.

La royauté presque absolue du genre descriptif a provoqué une réaction ; c’est là le symptôme le plus sensible d’une nouvelle tendance. Il y a de jeunes écrivains pour qui leur art est quelque chose qui ennoblit le poète et ceux qui l’entendent, une vigueur sacrée qui se communique aux pensées et aux actions. Ils comprennent ainsi ce magnétisme poétique dont parle Platon, cette chaîne aimantée qui va de la muse à celui qui répète les beaux vers. L’un d’eux l’a parfaitement exprimé,


Le beau reste dans l’art ce qu’il est dans la vie,
À défaut des vieillards, les jeunes le diront.


La poésie contemporaine a donc commencé par des essais plus ou moins brillans qui en faisaient quelque chose d’extérieur et d’impersonnel, elle aboutit à des tentatives en sens contraire. En nous proposant ces dernières comme objet principal de notre étude, nous trouverons des souvenirs du point de départ et des traces du chemin parcouru. Beaucoup de descriptions et de peintures qui ne sont pas toutes froides et systématiques, des efforts louables pour faire parler la philosophie en vers, un caractère plus humain, plus cordial dans quelques-uns de nos jeunes écrivains : tels sont les résul-