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attirât les âmes à Dieu par violence et par contrainte. Dans son opinion, Jésus-Christ n’avait pas ordonné d’outrager, de frapper et de tuer en son nom : ce n’était pas l’avis de Calvin.

Bonivard avait beaucoup lu, beaucoup étudié; son traité De noblesse dut apprendre bien des choses à ses contemporains sur l’histoire des hautes castes et sur le droit féodal. Le malin prieur se moquait agréablement de ces petits princes, encore nombreux de son temps, qui, « n’ayant pas 400 florins de revenu, ne reconnaissent aucun souverain,... exerçant tous actes royaux, excepté de battre monnaie, non pas pour ce qu’ils ne le doivent, mais pour ce qu’ils n’ont pas de quoi. » Ce n’est pas qu’il veuille mépriser l’état de noblesse, « car, dit-il, je me mépriserais moi-même, qui en suis, et non pas le premier de ma race, Dieu veuille que n’en sois le dernier ! » mais il est sans pitié pour les parvenus, les bourgeois-gentilshommes, les grenouilles qui veulent se faire aussi grosses que le bœuf.

Bonivard n’étudie pas seulement les titres de noblesse, il étudie aussi les formes de gouvernement. Il examine de près les trois états, monarchique, aristocratique et démocratique, et en signale avec beaucoup de sens les avantages et les inconvéniens. C’est surtout à la monarchie qu’il en veut, car il n’aime pas les rois; il déteste entre autres Henri VIII, et prétend qu’on pourrait graver sur une seule cornaline toutes les armes des bons princes. Il affirme que derrière la monarchie marche la tyrannie, il est donc contre le gouvernement personnel. Il est aussi contre le gouvernement militaire, et ne par- donne point à Auguste, d’avoir pris le titre d’imperator. Cependant Bonivard ne paraît pas estimer beaucoup plus l’aristocratie, c’est-à-dire la prépotence de quelques-uns; serait-il donc démocrate? Nullement, car l’état populaire, selon lui, traîne à sa queue l’anarchie: autant de têtes, autant de tyrans. Il a fait là-dessus « des carmes en latin et en gaulois. »

Bellua, quara plures nam minus una nocet.
Vu que plus dommageable est bête
De plusieurs que de seule tête.


Ainsi ni monarchie, ni aristocratie, ni démocratie ; que veut donc Bonivard? Tout simplement un gouvernement électif. « Suffit à un peuple que Dieu lui donne la grâce de pouvoir élire un prince ou plusieurs; » sur quoi il a fait le quatrain suivant :

Quand seront heureuses provinces,
Royaumes, villes et villages?