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caricatures, il ne fait pas d’académies; les portraits sont outrés, mais ressemblans. Voyez son Léon X, par exemple, « savant en lettres grecques et latines, et davantage bon musicien, en laquelle art il se délectait démesurément. A la reste, bel personnage de corps, mais de visage fort laid et difforme, car il l’avait gros plutôt en enflure que par chair ni graisse, et d’un œil ne voyait goutte, de l’autre bien peu, sinon par le bénéfice d’une lunette de béril, appelée en italien un ochial; mais avec iceluy, il y voyait plus loin que homme de sa cour... » Le portrait peint par Raphaël idéalise un peu ce croquis; il ne le dément pas.

Dans son Advis et Devis de la Source de l’idolâtrie, Bonivard raconte l’histoire des onze papes (d’Alexandre VI à Pie V) qui occupèrent le saint-siège de son vivant. Tous sont plus ou moins rudement traités par l’acerbe hérétique, qui ne fut cependant pas beaucoup plus doux avec les chefs de sa religion. Il écrivit sur les « difformes réformateurs » un traité qui ne dut pas enchanter les calvinistes. Ce traité débute ainsi : « Nous avons dit par ci-devant beaucoup de maux des papes et des leurs; mais quel bien pourrons-nous dire des nôtres?... Ce monde est fait à dos d’âne; si un fardeau penche d’un côté et vous le voulez redresser et le mettre au milieu, il n’y demeurera guères, mais penchera de l’autre. Aussi Cicéron en la guerre citoyenne entre Pompée et César, requis d’un chacun côté disait : Quem fugiam scio, ad qnem nescio. » Partant de là, il se lance le fouet à la main sur tous les princes allemands, sur l’Anglais Henri VIII et sur beaucoup d’autres. « Nous crions contre les papistes, dit-il, et faisons pis qu’eux : princes et peuples sont débordés. » En 1536, l’année même où il sortit de Chillon, il fut appelé avec Farel, le fougueux apôtre de la réformation, à une sorte de conférence avec les prêtres et les campagnards encore attachés à l’ancien culte. Il fut signifié à ceux-ci qu’ils eussent à prouver par la Bible que la messe et autres institutions du pape étaient approuvées de Dieu, faute de quoi ces institutions seraient à jamais prohibées. Le doyen des catholiques demanda un peu de temps pour s’éclairer sur cette grave affaire de conscience, et Bonivard trouvait que le doyen des catholiques avait raison, « car, dit-il, s’ils se montraient si légers à passer d’une religion à l’autre, ils pourraient bien par la même occasion retourner aussi facilement à la première. » Farel au contraire, et son avis prévalut, voulait qu’on forçât les paysans à se convertir sans délai. Bonivard avait donc plus d’esprit que Farel; on peut même dire qu’en théologie il avait des idées moins crues que certaines théories de Calvin; il osa attaquer la prédestination, ce qui était dangereux à cette époque. Il conseillait aussi la tolérance et ne voulait pas qu’on