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l’œuvre de la seconde moitié de sa vie. Il débuta par des travaux historiques. Les conseils le désignèrent en 1542 pour continuer la chronique de Genève, commencée par Porral. Afin de se préparer à ce travail, il traduisit d’abord en 1543 le traité de Postel sur les magistrats d’Athènes et les chroniques suisses de Stumpff; il se fit acheter beaucoup de livres et obtint pour secrétaire Antoine Fromment, écrivain lui-même très naïf et très violent, qui tombait à bras raccourcis avec un bon gros rire bien bruyant sur ses ennemis les papistes. Le manuscrit des Chroniques de Genève de François Bonivard, copié de la main de Fromment, fut remis au conseil en 1551[1]; mais Calvin n’en permit pas l’impression. Il y trouva des passages qui auraient pu offenser MM. de Fribourg et de Berne, et il censura le style, qu’il déclara grossier. Bonivard dut baisser la tête, mais ne brisa point sa plume ; cinq ans après, il écrivit son fameux pamphlet sur les libertins, l’Advis et Devis de l’ancienne et nouvelle police. Cette diatribe lui fut si peu commandée qu’il demanda au contraire de l’écrire, et sollicita la communication de quelques notes. Certes ce libelle est d’une injustice maladroite, et nous intéresse aux gens qu’il voudrait foudroyer. Bonivard ne passera jamais pour un chroniqueur véridique : il était homme de parti et homme d’église, trop passionné et trop convaincu pour voir les âmes telles qu’elles étaient, les choses telles qu’elles se passaient. Les écrivains de ce genre, pensant posséder la vérité, ne la cherchent point, ne s’inquiètent pas des faits, croient ceux qui leur vont, rejettent les autres ou les changent. On aurait tort de les appeler menteurs, car il n’est pas besoin de mauvaise foi pour dire le faux, le parti-pris suffit. D’ailleurs Bonivard se distingue des autres par beaucoup de sens et de réflexion ; il cherche le trait et la couleur justes; il les trouve parfois malgré ses emportemens. Il a de la critique ou du moins il ose douter; il n’aime pas le merveilleux, le légendaire, il est homme de jugement; il a de plus des qualités de peintre. Ses personnages ne posent point, il les rend possibles; ce ne sont pas des anges ni des diables, ce sont des hommes, un peu grimaçans quelquefois, mais en chair et en os : il fait des

  1. Voici la liste des ouvrages de Bonivard qui nous sont parvenus : la traduction des Chroniques des Ligues de Stumpff, écrite en 1549, Une partie de cette traduction, l’Histoire des quatre Jacopins de Berne a été publiée en 1867; — les Chroniques de Genève, achevées en 1551, publiées pour la première fois en 1831, rééditées en 1867; — Advis et Devis de l’ancienne et nouvelle police, écrit en 1556, publié pour la première fois en 1847, réédité en 1865; — De Noblesse et de ses offices et degrés, achevé après 1560, publié en 1865; — Advis et Devis de la Source de l’Idolâtrie, etc., achevé en 1562, publié en 1850; — l’Amartigénée, achevé en 1562, publié en 1865; — l’Advis et Devis des Langues, achevé en 1563, publié pour la première fois en 1849 dans la Bibliothèque de l’École des Chartes, réédité en 1865.