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de la femme. Des filles s’ébattent innocemment à l’heure du catéchisme, elles seront fouettées. Un paysan possède une vache nommée Rebecca, il est appelé devant les juges, et il a beau protester que ses enfans la nomment ainsi parce qu’elle a les cornes rabouchées (repliées), il reçoit une admonition sévère, il a offensé Dieu. Nous trouvons tous ces traits dans les Registres du Consistoire, et nous choisissons les moins rudes. Un homme seul, Calvin, s’était emparé de ce peuple joyeux, raisonneur, indiscipliné; il le tenait dans sa main et le forçait d’obéir. Sans être magistrat ni même citoyen (il ne le devint qu’aux dernières années de sa vie), sans mandat officiel ni titre reconnu, sans autre autorité que celle de son nom et d’une volonté inflexible, il commandait aux consciences, il gouvernait les maisons, il s’imposait, avec une foule de réfugiés accourus de toutes parts, à un peuple qui n’a jamais aimé les étrangers ni les maîtres; il heurtait enfin de parti-pris les coutumes, les traditions, les susceptibilités, les résistances nationales, et il les brisait. Il avait contre lui a les libertins, » c’est-à-dire l’ancien parti de Berthelier et de Bezanson Hugues, les compagnons ou les successeurs de ces patriotes qui avaient affranchi Genève et commencé la réforme, les chefs aimés du peuple, les anciennes familles du pays, Genève en un mot, car tout cela c’était Genève, révoltée à la fois de cette invasion de « Français » et de cette tyrannie morale. Calvin n’en tint compte; il détruisit Genève pour la refaire à son image, et cette reconstruction improvisée tient encore; il existe une « cité de Calvin. »

Dans cette guerre à outrance, de quel côté trouverons-nous Bonivard? Il était l’ami des patriotes, le parrain d’un de leurs chefs; il avait combattu avec eux, il aimait le plaisir, et n’était réformé qu’en haine des papes; il n’admettait point les dogmes un peu cruels de la nouvelle religion. Bien plus la police du consistoire le gênait ; il était cité à chaque instant devant ce tribunal pour ses fredaines, ses querelles de ménage et ses façons de parler; on lui reprochait de ne point aller au prêche ni à la cène, et quand il tâchait de s’excuser sur son grand âge, on lui disait : « Vous vous êtes bien fait transporter sous le portique de l’hôtel de ville pour regarder des images. » On le grondait même à cause du bouquet qu’il portait sur l’oreille, « ce qui lui sied mal, disent les registres, à lui qui est vieil. » Excédé par ces tracasseries, il écrivit un jour ou signa du moins une chanson sur Calvin. On l’excommuniait à chaque instant, et il ne s’en affligeait guère. Calvin ne l’aimait pas, ou du moins le dédaignait un peu, le négligeait; il ne l’a nommé qu’une fois dans la volumineuse correspondance que publie avec tant de soin M. Herminjard; encore cette mention est-elle une