blique de Genève. Il n’eut pas d’enfans, bien qu’il eût épousé quatre femmes dans les trente dernières années de sa vie; la première, Catherine Baumgartner, était de Berne; la deuxième, Jeanne Darmeis, veuve d’un syndic, quitta plusieurs fois Bonivard pour courir les champs; il dut souvent déposer contre elle au consistoire, tribunal moral qui faisait la police de la vie privée. Les registres de cette compagnie nous ont été conservés; on y voit comparaître à chaque instant les deux conjoints, la femme se plaignant d’être battue, le mari, « avec paroles prolixes, » d’être délaissé; cela dura huit ans. Débarrassé de cette veuve, Bonivard en épousa une autre qui avait un fils et qui ne vécut guère. Enfin, le 27 août 1562, il fut encore cité devant le consistoire pour rendre compte de ses relations avec une nonnain, Catherine de Courtavone ou de Courtarvel. Il l’avait, disait-on, recueillie chez lui; or nul n’avait le droit de cohabiter avec une femme. Le galant prieur, qui marchait alors sur ses soixante-dix ans, avait, à ce qu’il paraît, adressé à cette Catherine des vers, et lui avait demandé sa main. Il ne voulait plus maintenant donner suite à ces pourparlers, désirant d’abord consulter ses parens. Le consistoire décida que les vers constituaient une promesse de mariage, mais que Bonivard avait bien pu se réserver le droit de consulter ses parens. Il renvoya donc les parties devant les magistrats, qui devaient déférer le serment à l’ex-prieur. S’il jurait ne s’être engagé qu’avec des réserves, il serait libéré de ses promesses, et puni seulement de sa légèreté, non par la prison à cause de son âge, mais en assistant d’autorité de justice aux prêches des dimanches et des mercredis. Si au contraire Bonivard a contracté un engagement formel, « il devra être puni d’autant plus étroitement qu’il n’est capable à contracter mariage, car même il l’a confessé, disant que sa chair est morte en lui, et ne désirait prendre cette femme sinon comme sœur, attendu son esprit. » Catherine de Courtavone, que Bonivard épousa le 21 septembre 1562, devait avoir en effet un esprit cultivé, puisque son vieux mari lui dédia son traité de l’Amartigénée, sur l’origine du péché, et reçut d’elle en retour les philippiques de Démosthène en grec[1]. Ce roman tardif devait mal finir; l’ex-religieuse, accusée de relations trop tendres avec un moine défroqué que Bonivard avait pris à son service, fut mise à la torture avec son amant; tous deux confessèrent leur crime, et durent l’expier comme l’exigeait la férocité des nouvelles lois : le moine eut la tête tranchée, et la quatrième femme de Bonivard, cousue en un sac, fut jetée dans le Rhône.
- ↑ Ce livre vient d’être retrouvé par M. Philippe Plan à la bibliothèque de Genève.