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tion de Byron. Les autres incidens du poème anglais sont de pures inventions, moins que des légendes.

Nous avons suivi Bonivard jusqu’à son second emprisonnement, c’est-à-dire jusqu’à la fin de sa vie active. Désormais il ne sera plus rien, pas même prieur. Délivré en 1536, lors de la prise de Chillon, il fut ramené à Genève en triomphe ; ce triomphe devait être court. Pendant sa captivité, — intervalle qui coupe en deux non-seulement la vie de Bonivard, mais aussi l’histoire de Genève au XVIe siècle, — une grande révolution s’était accomplie : la ville épiscopale était devenue la cité de Calvin. Elle s’était affranchie, puis réformée : plus de duc ni d’évêque, mais plus de bénéfices ni de couvens ! Saint-Victor était détruit depuis le jour où les Genevois, pour se défendre, avaient eu le courage cruel de renverser leurs faubourgs. Les moines et, dit-on, leurs concubines avaient aidé à la démolition. Les martyrs sont exigeans; Bonivard espérait beaucoup de Genève, pour laquelle il avait souffert; il n’obtint de la ville appauvrie que la bourgeoisie, un siège au conseil des deux cents, un logis « pour sa vie et pour celle de ses enfans mâles légitimes, » enfin deux cents écus de pension, à la condition pourtant qu’il vécût à Genève, car il aimait à « lever le pied; » on exigeait de plus qu’il vécût honnêtement, et on ne lui permit pas d’avoir dans sa maison une servante trop jeune. Ces choses-là regardaient les magistrats du pays. Bonivard, mécontent, réclama auprès de MM. de Berne, qui ne demandaient pas mieux que d’intervenir; MM. de Genève, irrités de cette démarche, décidèrent de punir l’ancien prieur; celui-ci de son côté envoya sa démission de bourgeois, déclarant qu’il se réservait tous les droits qu’il pouvait avoir dans Genève ou sur son territoire. Cette déclaration fut assez mal reçue; on écrivit sur l’enveloppe le mot de stultus, et l’on appelait Bonivard monsieur sans Saint-Victor. l’ex-prieur, tenant bon, intima l’ordre à ses anciens sujets de ne donner d’argent qu’à lui seul; enfin, grâce à Berne, il finit par obtenir, outre sa maison et sa pension, portée à 140 écus d’or, 800 écus pour payer ses dettes, car il s’était habitué à bien vivre, et la prison ne l’avait pas corrigé; la prison ne corrige personne.

A dater de cet arrangement, il vécut en paix avec Genève, bien traité par « la seigneurie, » qui lui avançait de l’argent, le soignait malade, le logeait dans de belles maisons, l’aidait dans ses acquisitions, rachetait les livres qu’il avait mis en gage, lui donna même une chambre chauffée, ce qui était un grand luxe en ce temps-là. Il vieillit ainsi entre deux anciens serviteurs, et mourut en 1570, âgé de soixante-dix-sept ans, ne laissant guère que des dettes et des livres qui, légués à la ville, commencèrent la bibliothèque pu-