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« plus de quatre cents personnes en armes qui commencèrent tous à crier que mes moines menaient des trahisons et qu’en fisse justice, autrement ils la feraient eux-mêmes. » Le peuple et Bonivard se rendirent à Saint-Victor pour prendre les moines. On enveloppa le couvent de tous côtés, tandis que le prieur y montait avec une douzaine de compagnons « par une porte dérochée (écroulée). » Il surprit ses moines dans une chambre où les uns jouaient, les autres regardaient jouer. Ces joyeux frères ne furent point effrayés de le voir tomber ainsi « extra-heure » au milieu d’eux.; ils continuèrent tranquillement leur partie. Quand Bonivard ordonna qu’on les fît prisonniers, l’un des joueurs en se levant dit à un autre : « Souvenez-vous que vous me devez sept deniers. » La prison du couvent n’étant pas sûre, on enferma les détenus à l’hôtel de ville, puis à l’évêché; mais Bonivard fit déclarer que c’était par nécessité, et que sa juridiction n’en serait pas amoindrie. Il demanda en outre que les moines fussent bien traités. Ils le furent si bien que peu après, quand on les relâcha tous, les trouvant innocens et inoffensifs, l’un d’eux maugréa contre ceux qui lui ouvraient la porte. « Je faisais bonne chère céans, dit-il, et maintenant je mourrai de faim. »

Cependant les gentilshommes de la Cuiller continuaient leur petite guerre. Leur chef, Pontverre, un Fra-Diavolo de haut bord, se multipliait pour inquiéter les Genevois. Bonivard possédait un pré au-delà du pont d’Arve; au temps de la récolte, n’ayant pas assez de chariots pour ramener ses foins, il en laissa une partie sur place; Pontverre avec ses hommes vint s’en emparer le soir, et, du pont, insultait et défiait les gens du prieur. Les deux partis tirèrent les uns sur les autres « à belles haquebutes, » et le cheval de Pontverre fut, dit-on, tué sous lui. Bonivard, informé de l’escarmouche, sortit de la ville au secours de ses gens. Pontverre fit semblant d’avoir peur et recula d’un trait d’arbalète pour engager le prieur à passer le pont; mais celui-ci se garda d’en rien faire. Des incidens pareils se répétaient tous les jours. Ce Pontverre finit mal. Voulant traverser Genève à la brune, « à l’heure du souper, » dit Bonivard, qui estimait cette heure-là, il fit baisser la chaîne et ouvrir la porte; reconnu sur le pont, enveloppé, poursuivi jusque dans une maison, où il se débattit comme un lion, il finit par succomber criblé de blessures. Ce fut grand dommage, « car c’était un vertueux chevalier, excepté qu’il était si querelleux. » Sa mort n’arrêta point les équipées de la confrérie.

Enfin une trêve fut conclue entre les Savoisiens et les Genevois, et à la suite de cette trêve Bonivard reçut l’ordre de ne plus courir, pour toucher ses revenus, sur les terres du duc. Comme il ne pou-