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pensait Bonivard, ce n’étaient que rats qui venaient à Genève pour y décroître le grenier et la cave, mais quoi? En les refusant, d’amis ils fussent devenus ennemis et eussent pu porter beaucoup plus de dommages comme ennemis que de profit comme amis; on leur fit donc bon accueil, et on leur livra maison, blé, chair, vin, bois, bref tout ce qui était nécessaire. » Bonivard lui-même arrenta son bénéfice à Bischelbach et à un chanoine nommé Vuilliaumin (Guillimann), qui fuyait Berne également pour cause de religion. Au mois de mai, — c’était le moment où l’on percevait les dîmes, — Bischelbach voulut se rendre à Cartigny, mais n’y voulut pas aller sans Bonivard, qui débuta par refuser net, confessant qu’il avait peur. Il fallut, pour le décider, de vives instances et de bonnes raisons. On pouvait emmener de Genève quelques compagnons armés de haquebutes; il y avait près du village un bois dans lequel on pourrait se retirer en cas de charge trop forte, et la retraite serait facile, le pays étant tout plat. Bonivard prit donc courage et sortit un matin (le dimanche 24 mai) de la ville avec un prêtre et le chanoine bernois, qui était vaillamment monté sur une mule ; tous trois portaient des armes sous leurs robes. Hors des portes, à Plainpalais, Bischelbach les attendait avec quatre ou cinq chevaux. « Et vos gens de pied? demanda le prieur. — Nous en trouverons assez, répondit en riant le boucher de Berne. — Je ne partirai pas, si je ne suis mieux escorté. — Je vais les envoyer querre (quérir) pendant que vous entendrez la messe. » Bonivard entra dans l’église, et se recommanda chaudement à Dieu, c’est lui qui le déclare, car il avait de « terribles doutes » malgré l’assurance de ses gens qu’ils vivraient et mourraient avec lui.

La messe entendue, la petite troupe se mit en marche, les gens de pied allant devant et derrière, un peu éloignés les uns des autres, afin de n’être pas remarqués. Ils arrivèrent ainsi à deux portées d’arbalète du château. Chemin faisant, l’un d’entre eux s’était emparé d’un cheval qu’on menait boire. Ils se trouvèrent devant l’église du village au moment où les habitans sortaient de la messe; parmi ceux-ci se trouvait un des gentilhommes du parti de Savoie, Jean de Grenant. Après un entretien entre Bischelbach et ce gentilhomme, il fut convenu qu’on enverrait au château l’un des Bernois, nommé Thibaut (Diebolt), sur quoi la troupe alla dîner, car Bischelbach, en homme de précaution, avait songé aux vivres; l’hôtelier était du reste à Bonivard. Aux premiers coups de dent, les convives entendirent deux coups de feu; ils sautèrent sur leurs armes. On venait de tirer du château sur le Bernois Thibaut, qu’ils y avaient envoyé. Bischelbach partit à cheval comme un trait et disparut; ce fut Bonivard qui rallia la troupe et qui commanda la