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Pologne en lui jurant fidélité et obéissance. A l’exemple des nobles, des bourgeois et des gens du peuple, les évêques, eux aussi, les prêtres, les hommes de toute condition, passèrent au vainqueur, et il y eut une si grande trahison parmi les habitans, un si effroyable changement des cœurs dans toute la Prusse, qu’on en chercherait vainement un autre exemple en pays chrétien... » Cette défection générale de toutes les classes de la nation n’embarrasse pas légèrement les historiens allemands qui s’obstinent à parler de la civilisation et de la prospérité que « les manteaux blancs » avaient implantées sur les bords de la Baltique. La vérité est que les « seigneurs croisés » ont de tout temps opprimé et pressuré le peuple prussien, qui, par un jeu de mots significatif et douloureux, n’appelait jamais ces maîtres farouches autrement que « les seigneurs crucifians[1]. » La vérité est que, dès 1440, une révolte toute semblable à celle qui eut lieu pendant la « grande guerre, » une révolte spontanée des nobles, des bourgeois et des paysans de la Prusse devait encore une fois éclater contre cet ordre teutonique, de plus en plus dégénéré et abaissé, et cette fois le soulèvement finit par proclamer la souveraineté dans ces pays du roi de Pologne, Casimir IV. Alors la « ligue de Marienwerder » acheva l’œuvre inaugurée dans la journée de Grunwald, et fit du grand-maître Louis de Erlichshausen l’homme lige et le vassal du petit-fils du « baptisé de Cracovie. »


II.

Au commencement du mois d’octobre 1413, trois ans après le «jugement de Dieu » dans la plaine de Tannenberg, une petite ville située aux bords du Bug, sur les confins des « terres de Piast et de Gédimin, » recevait dans ses murs des hôtes nombreux et illustres dont les traits, fidèlement reproduits, au lieu même de la réunion, dans une fresque contemporaine, devaient charmer pendant des siècles les regards de tout visiteur du château royal de Horodlo[2]. On y voyait d’un côté le vieux roi Ladislas II à la tête des prélats, barons et nobles de la Pologne; de l’autre, on distinguait le grand-duc Witold avec les évêques, princes et boyars de la Lithuanie; la peinture représentait les premières grandes assises du royaume-uni, le premier « parlement» que tinrent ensemble en cette année 1413 le peuple d’Hedvige et le peuple de Jagello.

  1. Kreuziger au lieu de Kreuzritter. Voyez le chroniqueur de l’ordre, Lindenblatt, Jahrbücher, 287.
  2. Saruiçki, Annales Poloniœ, VII, 1166.