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pondit avec une humilité toute chrétienne : « Nous ne cherchons d’autre encouragement qu’en Dieu; c’est en son nom que nous acceptons vos glaives et que nous allons aussitôt donner le signal de la lutte. Nous ne saurions vous indiquer le lieu de la rencontre, car Dieu seul connaît et désigne le champ des combats. Il l’a déjà choisi pour vous comme pour nous... »

Il disposa ensuite son armée : il en confia les deux ailes, les deux « cornes, » au prince Witold et au porte-glaive de la couronne, Zyndram de Maszkowice; lui-même il prit place au centre et donna pour mot d’ordre : « Cracovie et Wilno. » Les Polonais commencèrent à déboucher du bois de Grunwald en entonnant l’hymne antique de leur premier apôtre saint Adalbert, le fameux chant de Boga-Rodziça, leur « péan militaire » depuis des siècles[1]. Pour ne pas rester trop longtemps exposés à l’action meurtrière de l’artillerie prussienne, ils eurent hâte d’en venir aux mains avec les « manteaux blancs; » l’intervalle qui les séparait des collines de Tannenberg, ils le traversèrent impétueusement, « portés sur les ailes de la mort, » couvrant littéralement la route de cadavres. Bientôt la mêlée devint générale. La bataille eut trois phases successives dont les deux premières semblèrent donner le dessus aux seigneurs de Marienbourg. La « corne » gauche, celle que commandait Witold, fut surtout fortement entamée; le corps auxiliaire de Tatares s’était dispersé au premier choc, semant au loin l’alarme. Il y eut un moment où le roi lui-même ne dut son salut qu’à l’intervention d’un jeune secrétaire de sa chancellerie, de celui qui plus tard fut le grand cardinal Zbigniew de Olesniça. Vers la fin cependant, Witold réussit à rétablir ses lignes ébranlées, et dans un dernier effort, après des heures de carnage, les Polonais remportèrent la victoire, — une victoire comme en ont enregistré rarement les annales en-

  1. Le lecteur étranger lira peut-être avec intérêt les premières strophes de cet hymne dans l’élégante traduction latine qu’en a donnée le célèbre Sarbievius au XVIe siècle (Carmina, lib. IV, ode 24 : « Ad D. Virginem matrem, pæan militare Polonorum quem divus Adalbertus apostolus et martyr conscripsit, regnoque Poloniarum testamento legavit.)

    Diva per latas celebrata terras
    Cælibi numen genuisse partu,
    Mater et virgo, genialis olim
    Libera noxæ:
    Dulce ridentem populis puellum
    Prome formosis, bona mater, ninis,
    Expiaturum populos manu demitte puellum.
    Integram nobis sine labe vitam,
    Prosperam nobis sine clade mortem,
    Christe, stellatasque Maria divûm
    Annue sedes.