Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 82.djvu/665

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’ils entretenaient à l’étranger, il est aussi souvent parlé de la « disgrâce » encourue par la jeune reine auprès de la cour de Cracovie à la suite de ses continuels efforts pour empêcher tout conflit sanglant avec la Prusse. Les chroniqueurs de l’ordre sont unanimes à lui attribuer presque exclusivement le mérite de la longue paix conservée depuis la campagne désastreuse de Wilno, à lui en garder un souvenir reconnaissant, et il n’est pas douteux en effet que sans son intervention incessante, vigilante, infatigable, ce grand drame ne se fût dénoué bien des années avant 1410. Dans les momens critiques, on voit Hedvige prendre en main les négociations épineuses, traiter directement avec le grand-maître et les comthurs influens dans des entrevues tout intimes, et revenir toujours avec un arrangement quelconque, peu satisfaisant à coup sûr, mais propre à conjurer la collision déjà imminente. Certes cette fille des Piasts, qui à l’âge de quatorze ans s’était saisie d’une hache dans la célèbre « scène du guichet, » ne manqua pas non plus de courage et de résolution alors qu’elle fut devenue la femme de Jagello, et qu’elle eut à veiller aux intérêts d’un vaste empire. L’année même qui suivit son mariage, et au moment où le « baptisé de Cracovie » était engagé dans sa mission apostolique à Wilno, Hedvige étonnait le monde par une expédition intrépide qui conserva à la Pologne une de ses plus belles provinces. Sans tarder, sans même prendre l’avis de son royal époux, elle réunit, au commencement de 1387, les barons dévoués et quelques troupes d’élite, et se mit en marche pour la Galicie, sur laquelle Sigismond de Luxembourg, ce « fiancé » de la Hongrie, élevait alors des prétentions au nom de la monarchie de saint Etienne. On aime à se représenter, d’après les chroniques du temps, cette jeune reine de seize ans, « coiffée et gantée de zibeline et montée sur un cheval magnifique, » traversant ainsi bravement à la tête d’une petite armée et au beau milieu de l’hiver un pays occupé par des garnisons hongroises, gagnant à sa cause ou chassant devant elle les capitaines étrangers et recevant le serment d’hommage et de fidélité de ses bons bourgeois de Jaroslaw et de Léopol. Non moins ferme et décidée se montra-t-elle dans la suite à l’occasion de graves démêlés avec les grands vassaux de la couronne, le présomptueux duc de Mazovie, l’intrigant et perfide prince d’Oppeln, et il a été déjà parlé plus haut de la politique vigoureuse, téméraire même, qu’elle voulut suivre dans les affaires de Hongrie après le décès de sa sœur. Seules les affaires de l’ordre trouvaient cette reine toujours désarmée, indulgente à l’excès et inébranlablement pacifique. C’est que là se dressait devant la fille de Louis d’Anjou le souvenir d’un père qui fut l’ami des « manteaux blancs, » qui s’était fait jadis armer chevalier durant une de leurs