Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 82.djvu/664

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de sa sœur, Hedvige devint même l’héritière légitime de la couronne de saint Etienne, elle prit résolument le titre de reine de Hongrie, et aurait bien voulu faire appuyer ce titre par les armes polonaises au-delà des Carpathes. Ainsi placé entre son cousin et son épouse, sollicité par deux systèmes opposés, mais dont chacun parlait fortement à la passion et à la raison d’état ordinaire, Jagello sut pourtant s’élever au-dessus de tous les deux vers un ordre d’idées plus général et d’un intérêt permanent. Il n’encouragea les entreprises de Witold qu’autant qu’elles pouvaient fortifier la position catholique du royaume-uni en Europe, et il refusa de s’engager dans les affaires de Hongrie, si riantes que pussent y sembler les perspectives, si fondés que fussent les droits d’Hedvige. A cet égard, il donna des assurances positives et sincères à Sigismond de Luxembourg, le futur empereur, alors que celui-ci vint lui faire une visite « amicale » à Cracovie, en 1396, après avoir, quatre ans auparavant, négocié avec l’ordre teutonique le projet d’un partage de la Pologne. A aucun prix, Ladislas II ne voulut assumer la responsabilité d’une rupture avec l’Occident. Il n’eut qu’une seule ambition, aussi généreuse que bien entendue, l’ambition de conserver au royaume des Piasts le caractère d’une puissance paisible et bienfaisante au milieu de la république chrétienne. Il n’eut qu’une seule convoitise, assurément légitime; il aspirait à remplacer les seigneurs de Marienbourg dans leur rôle usurpé de défenseurs de la foi et de la civilisation contre la barbarie et le paganisme. Ce duel même avec l’ordre teutonique, duel fatal, inévitable, le fils d’Olgerd l’évita autant qu’il put; il ne le provoqua point, il ne l’accepta qu’à la dernière extrémité, après vingt ans d’une longanimité très pesante, et poussé à bout par un ennemi hautain et perfide, dont le sentiment d’une ruine prochaine n’avait fait pendant tout ce temps qu’augmenter l’aveuglement et l’insolence.

Dans les précieuses archives de l’ordre teutonique qui sont encore conservées à Kœnigsberg, on trouve parfois parmi la correspondance diplomatique de ces temps, caché dans le pli d’une missive officielle, un petit billet écrit par la reine Hedvige à l’insu de son « époux bien-aimé[1]; » la fille de Louis d’Anjou y entretient le grand-maître du fâcheux effet que telle mesure ou tel procédé des chevaliers a produit sur le roi Ladislas II, et supplie les seigneurs de Marienbourg de ne pas rendre plus difficiles les relations déjà si tendues entre les deux gouvernemens. Dans d’autres pièces confidentielles de la chancellerie de Marienbourg, dans les rapports adressés aux « manteaux blancs » par les nombreux agens secrets

  1. Voyez entre autres la pièce n° 97 dans le Codex diplom. Pruss., t. IV, p. 138.