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et l’on ne saurait trop applaudir aux essais tentés pour y atteindre. Seulement il ne faut point oublier que les sciences de l’esprit ont leurs conditions et leurs méthodes propres, de même que les sciences de la nature. Que le monde moral ait ses lois aussi bien que le monde physique, rien n’est plus vrai, que les sciences morales doivent tendre de plus en plus à la découverte, à la détermination de ces lois, rien n’est plus philosophique; mais là s’arrête l’analogie entre les deux ordres de sciences. Nous ne croyons pas qu’il soit bon de l’étendre jusqu’aux méthodes et au langage. Ainsi nous nous défions de l’emploi, non-seulement des méthodes mathématiques, évidemment impropres aux sciences purement descriptives, mais encore des méthodes dites naturelles, qui se réduisent à l’observation comparée et à l’induction. Nous trouvons que la psychologie par exemple, exactement traitée par la méthode des sciences naturelles, court risque d’en rester à la surface des choses, et de ne point pénétrer dans l’intimité de la nature humaine, ouverte seulement à l’œil de la conscience. Enfin nous n’aimons pas le mot dont se sert la science contemporaine pour exprimer le résultat de cette révolution qu’elle tente d’opérer dans le domaine entier des connaissances humaines. Déterminisme est une expression qui sent trop le fatalisme; c’est la formule usuelle de cette nécessité absolue qui est la suprême loi de la nature. Ce mot ne convient point aux phénomènes de l’esprit, soit qu’il s’agisse de la conscience, soit qu’il s’agisse de l’histoire. Si l’on persiste à s’en servir pour mieux marquer le progrès scientifique des recherches morales, il importe de distinguer la nécessité morale de la nécessité physique, afin de maintenir la ligne profonde de démarcation qui séparera toujours le monde moral du monde physique.

Bien que la tendance au déterminisme soit générale, et qu’on la retrouve chez toutes les écoles de philosophie naturelle et même de philosophie morale, il se rencontre des esprits et des âmes qui protestent énergiquement contre une telle conclusion des méthodes contemporaines. Un penseur bien connu, et qui ne l’est pas encore autant qu’il mérite de l’être, M. Charles Renouvier, vient de porter, à propos des écoles de Saint-Simon, de Fourier et d’Auguste Comte, un jugement aussi juste que sévère sur ce prétendu esprit historique qui tend à fausser les sciences morales et à énerver les âmes humaines. « C’est dans de telles circonstances qu’on voit l’histoire remplacer la philosophie et la morale dans les préoccupations publiques, et l’esprit désabusé de la recherche des vérités rationnelles, doutant même s’il en existe en ce genre, affaibli dans tous ses ressorts d’action par la perte de f espérance et de la foi, se rejeter de la poursuite ardente de ce qui devrait être dans la considération froide de ce qui a été et de ce qui a dû être. Le pouvoir