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les exagérations de langage qu’il laisse aux théologiens. Dans cette troisième vie toute de sainteté qu’il regarde comme le suprême effort de la vertu humaine, l’âme, en passant à Dieu, ne fait que rentrer de plus en plus dans l’essence même de son être propre, laquelle est l’idéal de toute perfection. C’est ce qui lui fait dire que le christianisme seul a connu notre nature tout entière, l’erreur des quiétistes étant de supprimer la liberté avec l’action, tandis que l’erreur des stoïciens est de s’en tenir à cette vie de lutte et d’effort qui ne comporte pas la paix de l’âme, vainement cherchée par leurs sages.

Un pareil mysticisme n’est jamais dangereux pour la morale, parce qu’il n’est jamais contraire à la conscience. Le Dieu dont l’âme religieuse écoute la voix, suit la volonté, prend en quelque sorte la nature, est un Dieu sorti lui-même des entrailles de l’humanité. Comme il en est surtout l’idéal, elle ne peut, en ses plus ardentes extases, s’égarer dans le monde des abstractions ou des chimères. On peut, avec sainte Thérèse, avec Fénelon, avec Maine de Biran, parler d’anéantir sa personnalité en Dieu sans compromettre aucun des attributs supérieurs et vraiment humains de cette personnalité. Un tel Dieu n’est pas un océan où puisse se perdre tout ce qui s’y absorbe; c’est un foyer où se concentre l’âme humaine pour y ranimer, y purifier, y transfigurer sa propre nature, y devenir plus intelligente, plus aimante, plus libre que jamais de la liberté des enfans de Dieu. Que la grâce ne soit qu’une sorte de projection de la conscience humaine, ainsi que le pense la philosophie; que la conscience au contraire ne soit qu’un reflet de la grâce, ainsi que le prétend la théologie, qu’importe, si ces deux choses n’en font qu’une au fond? C’est là la vraie religion, entièrement conforme à la morale excepté en ceci, que ce qui n’est pour l’une qu’un idéal de la pensée est pour l’autre la réalité suprême. Or, qu’on fasse ou non de cet idéal une réalité, la loi n’en reste pas moins la même dans ses caractères essentiels, loi de pure conscience pour la morale, loi de volonté divine pour la religion. Et non-seulement la loi reste la même ; mais au fond les deux voix qui la proclament se confondent en une seule. Ce n’est pas entre la conscience humaine et la volonté divine que peut éclater la contradiction; c’est entre la conscience et la nature seulement, entre la conscience avec ses hautes et pures inspirations, et la nature avec ses grossières et impures suggestions. Quand le Christ dit dans sa passion : « Mon Père, que votre volonté soit faite et non la mienne, » ce n’est pas la volonté de l’âme qu’il oppose à celle de Dieu, c’est la volonté ou plutôt l’invincible instinct de la nature qui gémit et réclame. L’âme du Christ contenait en elle un Dieu nouveau, supérieur au Dieu de Moïse, un Dieu de bonté et d’amour, tandis que l’autre n’est qu’un