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tue, mais qui devient simple et nécessaire dans la vraie notion du moi.

Qu’est-ce donc qu’avoir conscience de soi? C’est se sentir un, identique, actif, libre dans l’exercice de son activité. Il est vrai que l’homme ne sent tous ces attributs de son être que dans les actes qui les manifestent, que la conscience est le sentiment du moi en action; mais ce serait abuser d’une abstraction métaphysique que de faire la distinction de l’être en soi et de l’être en acte, et de prétendre que, si la conscience saisit l’un, l’autre lui échappe. Kant est évidemment dupe d’une sorte d’illusion ontologique de ce genre, lorsqu’il applique au témoignage du sens intime cette distinction du subjectif et de l’objectif, du phénomène et du noumène, dont la philosophie critique s’est fait une arme si redoutable contre toute espèce de dogmatisme philosophique. Le moi a conscience de la cause dans l’acte, et, comme pour une force agir, c’est être, il s’ensuit que la conscience de son activité implique celle de son être. Voilà donc le terrible noumène évanoui. Maine de Biran a raison contre l’école de Kant, parce qu’il a raison contre l’école de Bacon. Kant avait admis sur la foi d’une méthode en vogue que la conscience n’atteint directement que les actes, et que l’induction est nécessaire pour pénétrer au-delà, jusqu’aux facultés de l’être, jusqu’à l’être lui-même. De là ce noumène de l’être en soi qu’il garde en réserve, caché dans les profondeurs de la substance, derrière la réalité toute phénoménale dont la conscience est le miroir. Depuis que Maine de Biran et l’école psychologique ont comme soufflé sur le spectre ontologique et restitué à la conscience toute la portée de son intuition, le mystère de la personnalité humaine a disparu, et l’on peut parler en toute certitude de l’âme, de l’esprit, de la liberté, sans avoir besoin d’invoquer les lumières de la métaphysique. Comme le dit le poète,

Apparet domus intus, et atria longa patescunt.

Quant à l’argument tiré de la contradiction antinomique, il n’est pas, à notre sens, d’antinomie moins fondée que celle qui oppose ici la loi de la nature à la loi de la raison. Il est très vrai que la loi de causalité régit toute la série des phénomènes dont se compose l’ordre de la nature; mais il ne l’est pas moins que la loi de finalité y fait sentir aussi son action, sans qu’il y ait la moindre contradiction entre les deux vérités. Cette loi de finalité qui gouverne la nature comme la volonté, le monde physique comme le monde moral, n’est point, ainsi que Kant le pense, une simple conception de la raison pure, sans application possible au monde de la réalité naturelle; c’est aussi bien une loi de l’expérience que la loi de