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en les identifiant avec les actes de la nature divine. Ce qui est constant, c’est que le divorce reparaît entre la conscience et la spéculation sous toutes ses formes, de même qu’il avait déjà éclaté entre la conscience et toute espèce de science positive.

Pour qui se prononcera la critique? Sera-ce pour la conscience, sera-ce pour la spéculation? Ici il n’y a pas de milieu à garder. On ne peut, selon le conseil de Bossuet à propos de la prescience divine et de la liberté, tenir fortement les deux bouts de la chaîne sans s’inquiéter du moyen de les réunir. La contradiction est plus ou moins forte, mais absolue, entre les conclusions de la pensée spéculative et les enseignemens de la conscience; il faut donc choisir. Heureusement que le choix n’est pas difficile, et ne peut être un instant douteux. Que sont ces spéculations qui viennent se heurter à un sentiment intime et invincible? Des hypothèses. Qu’est-ce que le matérialisme malgré la simplicité et la clarté de ses explications? Une hypothèse, et encore une hypothèse contredite par l’expérience physiologique elle-même. Qu’est-ce que le spiritualisme malgré la solidité et la profondeur de son principe psychologique? Une autre hypothèse, plus d’accord sans doute avec l’expérience intime, mais dont les conclusions extrêmes ne reposent sur aucune science positive. Que toute force élémentaire, physique, chimique, même mécanique, soit une tendance, c’est ce qui nous est révélé par les œuvres mêmes de cette force obéissant à l’irrésistible attraction du bien; mais quelle expérience nous permet d’aller plus loin, de transformer une simple tendance en instinct, un instinct en volonté? Qu’est-ce que le panthéisme? Une imposante conception fort propre à séduire les esprits qui préfèrent à tout la grandeur et la force. Certes l’unité de la vie universelle est une vérité depuis longtemps pressentie, et que les révélations de la science moderne confirment chaque jour; mais lorsque cette conception de l’unité va jusqu’à la négation de tout être individuel, ce qui est le propre du panthéisme, elle n’est plus qu’une explication hypothétique : elle échoue contre le témoignage de l’expérience, attestant la personnalité libre de certains êtres, l’individualité de tous les autres au sein de la vie universelle. Qu’est-ce que le mysticisme? Encore une hypothèse. C’est par une induction psychologique que la cause créatrice et conservatrice du monde est conçue comme un être pensant, voulant, aimant, comme une véritable personne agissant sur l’âme humaine par la grâce, et l’élevant par la force de son amour jusqu’à une sorte de vie commune où l’âme ne garde presque plus rien de sa personnalité. Or quelle peut être l’autorité d’une pareille méthode quand il s’agit de modifier, sinon de supprimer, le témoignage de la conscience touchant la liberté des actes et le mérite