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périeur ; pourtant, s’il réalise le bien, il ne fait pas l’acte de vertu. Voilà ce que montre l’analyse des moralistes. La conscience a toujours regardé comme le signe suprême de la perfection l’état de réflexion de l’âme humaine dans l’accomplissement de ses actes. Tout en convenant que l’effet du progrès moral est de diminuer l’effort, et que le comble de la perfection serait de le supprimer entièrement, faut-il admettre avec la métaphysique spiritualiste que la volonté et l’intelligence se confondent avec l’amour dans le type de la suprême perfection, changeant ainsi d’essence et se transformant en un principe que la conscience nous montre si profondément différent des deux autres? Qui a raison ici de la psychologie ou de la métaphysique? Encore une antinomie de la spéculation et de la conscience.

Il est enfin une autre philosophie de la nature qui s’entend encore moins que les deux autres avec la conscience : c’est cette haute spéculation qu’on appelle la philosophie de l’unité, et dont Spinoza, Goethe, Schelling, Hegel, ont été les plus éminens organes dans les temps modernes. Si les deux autres systèmes, le matérialisme et le spiritualisme, méconnaissent la liberté, ils reconnaissent au moins l’individualité des êtres, en tant qu’êtres. La philosophie de l’unité ne reconnaît ni l’une ni l’autre. Pour elle, il n’y a qu’un être véritable, dont les prétendus êtres individuels ne sont que les modes ou les manifestations. Spinoza dira les modes de la substance étendue, supprimant ainsi non-seulement toute spontanéité, mais encore toute vie dans la nature. Schelling et Hegel restitueront à la nature la force et la vie, mais en l’attribuant à l’être absolu, le seul être dans la vraie acception du mot, en sorte que le dynamisme de la nouvelle philosophie n’est guère plus favorable à la liberté et à l’individualité que le mécanisme de Spinoza. Des trois écoles philosophiques qui se partagent les esprits voués à la spéculation, c’est de beaucoup la moins nombreuse et la moins populaire : car c’est celle qui choque le plus le sens intime, celle surtout à laquelle l’imagination s’est toujours montrée le plus rebelle. S’il y a dans le domaine du sens commun une croyance qui semble inébranlable, c’est celle qui attribue l’existence à l’individu. Aussi la spéculation idéaliste n’a-t-elle jamais réussi à ébranler ce qu’elle appelle une illusion de la conscience et de l’imagination que chez un très petit nombre d’esprits supérieurs. Quoi qu’il en soit, voilà encore une antinomie de la conscience et de la spéculation à résoudre.

Hâtons-nous de le reconnaître : la philosophie religieuse n’a rien de commun avec la philosophie naturelle quant au sentiment des vérités de l’ordre moral. Tandis que celle-ci se préoccupe de l’ordre