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une méthode absolument inverse, cette philosophie obéit au même besoin d’unité que la précédente. Tandis que le matérialisme part d’en bas pour expliquer par le mouvement mécanique toute la série des êtres de l’univers, le spiritualisme part d’en haut pour expliquer cette même série par l’acte qui en est le type le plus élevé, l’acte de la pensée et de la volonté. A la formule que la pensée n’est que le mouvement à son maximum, il oppose cette autre formule, que le mouvement lui-même est encore la pensée à son minimum. Tout mouvement, même de l’ordre purement physique, est déjà un effort; toute force, si simple qu’elle soit, tend à une fin en vertu d’une activité spontanée. L’expérience scientifique est ici d’accord avec l’expérience intime elle-même. La force d’attraction universelle qui meut toute la matière et fait sortir des nébuleuses les mondes organisés obéit à la loi du bien, proclamée par Aristote et Leibniz. Or toute force qui tend à une fin déterminée, toute cause qui obéit à une raison, à la raison du bien, n’a-t-elle point en elle quelque chose de la cause qui pense et qui veut? Si l’instinct est une sorte de volonté inconsciente en ce qu’il tend spontanément à une fin, toute espèce de mouvement ne peut-elle pas être dite volontaire au même titre? À ce point de vue, le monde apparaît comme vivant et libre, c’est-à-dire tout peuplé de forces de divers degrés, mécaniques, physiques, chimiques, organiques, psychiques, dont le caractère essentiel est de tendre à une fin commune, l’ordre, le bien. Toutes les différences qui les distinguent ne sont que les degrés divers d’une même activité spontanée.

C’est donc en haut et non en bas qu’il faut regarder, en haut, c’est-à-dire au plus profond de la conscience humaine, et non à la surface même de la nature inorganique, pour y trouver l’essence de l’être, de l’être infime qu’on nomme la pierre comme de l’être supérieur qui est le roi du monde connu. La substance des choses, tant de fois et si vainement cherchée par la métaphysique matérialiste dans ce substratum de l’imagination qui s’appelle l’étendue, est ailleurs. On croit y saisir la réalité la plus palpable, la plus sensible de l’être ; on n’atteint qu’une abstraction géométrique, l’espace. Cette substance, cet être des choses, est dans la force, ainsi que l’a dit Leibniz, non dans cette force sans spontanéité qui n’est elle-même qu’une abstraction de la mécanique, mais dans cette autre force, la seule réelle et naturelle, qui tend d’elle-même à une fin déterminée, comme l’instinct, comme la volonté. C’est ainsi qu’à l’encontre du matérialisme, qui affirmait que tout être est mouvement, tout ordre la loi de la nécessité mécanique, le spiritualisme de nos jours affirme que tout être est pensée et volonté, que tout ordre, physique ou moral, rentre dans la loi