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violences accumulées ? La séquestration prolongée du saint-père n’était-elle pas un de ces coups qui frappait indifféremment, quelle que fût leur patrie d’origine, tous les membres épars de l’église catholique ?

Il y a quelque légèreté et même un peu d’injustice à ne pas vouloir comprendre l’intensité des sentimens qu’on ne partage pas. Les adhérens à la foi romaine ne se servent pas d’un mot vain dans leur bouche quand ils appellent le pape leur souverain et leur père spirituel. Ils avaient sur toute la surface du globe éprouvé comme une sainte horreur quand ils avaient appris qu’à deux reprises différentes des soldats avaient mis la main sur le vicaire du Christ, et l’avaient, au péril de sa vie, transporté de Rome à Savone et de Savone à Fontainebleau, ainsi qu’ils l’auraient fait d’un simple prisonnier d’état. À leurs yeux, c’était plus qu’une atteinte portée au droit commun des têtes couronnées : Napoléon avait commis un véritable sacrilège, et sa présente défaite n’en était, suivant eux, que le châtiment. Comment donc s’étonner si les désastres de la retraite de Russie sont avant tout représentés dans les mémoires du cardinal Pacca comme l’inévitable expiation des méfaits de l’empereur ? En les expliquant de la sorte, cet ancien secrétaire d’état de sa sainteté restait fidèle aux doctrines de toute sa vie. Il avait été du nombre des cardinaux qui avaient médiocrement approuvé le concordat ; il avait déconseillé plus qu’aucun d’eux le voyage du pape à Paris au moment du sacre. La bulle d’excommunication était son œuvre. Aussi se plaît-il à signaler dans l’anathème lancé du haut de la chaire pontificale la cause des revers qui ont accablé un ancien adversaire. « La conduite barbare de Napoléon fut ce dernier péché, dit-il, qui lassa enfin, comme nous l’apprend l’Écriture, la longanimité du Seigneur, et arma son bras des verges de la vengeance… Les temps ne sont pas éloignés où ce grand victorieux s’écriait : Que me veut le pape, et se figure-t-il que ses excommunications feront tomber les armes des mains de mes soldats ?… Dieu a permis cependant que ce fait se réalisât. » — « Les armes des soldats parurent à leurs bras engourdis un poids insupportable. Dans les fréquentes chutes qu’ils faisaient, elles s’échappaient de leurs mains, se brisaient ou se perdaient. S’ils se relevaient, c’était sans elles. Ils ne les jetèrent pas ; mais la faim et la soif les leur arrachèrent[1]. » — « Le soldat ne put tenir ses armes ; elles s’échappèrent des mains les plus braves,… elles tombaient des bras glacés qui les portaient[2]. » —

  1. Histoire de la grande armée en 1812, par le comte de Ségur.
  2. Mémoires de M. de Salgues.