Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 82.djvu/612

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à leurs anciens pasteurs seraient d’un gouvernement difficile, et recevraient plus volontiers le mot d’ordre des captifs que celui de son ministre des cultes ; c’est pourquoi il avait songé à obtenir des trois prélats l’engagement de ne plus se mêler d’aucune affaire ecclésiastique. Pour son compte, M. Bigot aurait beaucoup souhaité qu’on n’allât pas plus loin, car les violences lui répugnaient fort ; mais il avait désormais pour auxiliaire dans ses rapports avec les membres du clergé un redoutable acolyte qui possédait plus que lui la confiance du maître. Averti par sa police qu’un négociant de la ville de Gand était venu, de la part du chapitre, s’aboucher à Beaune avec M. de Broglie, le duc de Rovigo n’avait rien eu de plus pressé que d’en prévenir l’empereur, déjà si fort irrité contre les chanoines de ce diocèse. Aux yeux de ce zélé serviteur de Napoléon, c’était le clergé qui faisait courir à l’état les plus grands dangers. Au moment où son chef se préparait à quitter pour longtemps la France, il lui semblait donc tout à fait imprudent de laisser derrière lui, en Bourgogne, l’évêque qui passait à tort ou à raison dans le public pour avoir été le principal meneur de l’opposition au sein du concile national. Ces profondes considérations politiques persuadèrent, à ce qu’il paraît, Napoléon. Or, dans les temps dont nous nous occupons, on ne faisait point les choses à demi quand il s’agissait d’assurer la tranquillité du pouvoir. C’est pourquoi, oubliant dans la maison de santé de la barrière du Trône le général républicain Mallet, qui allait bientôt leur causer une si chaude alerte, le tout-puissant souverain et son précautionneux ministre s’occupèrent d’envoyer M. de Broglie aux îles Sainte-Marguerite. Trop de sûretés ne pouvaient être prises contre un si dangereux conspirateur. On lui assigna donc pour prison, sur le sommet des rochers les plus escarpés, la cellule aux murs épais, aux barreaux inébranlables, qu’avait jadis habitée l’homme au masque de fer. Que faisait cependant à l’heure même où l’on décidait de son sort le prélat valétudinaire qui allait subir durant cinq ou six mois un si cruel traitement ? Le 11 décembre 1811, s’adressant de Beaune à M. Bigot pour l’entretenir avec une entière ouverture de cœur de ses affaires personnelles, ce prétendu ennemi de l’empereur terminait ainsi sa lettre :


« … Ma ruine pécuniaire m’est bien moins sensible que le chagrin de ne pouvoir plus servir la religion et l’empereur avec le zèle qui l’année dernière a mérité l’éloge de ce grand prince quand il vint en Belgique. Mon attachement à la personne de l’empereur sera toujours le même que quand il m’honorait de ses bontés. Il faut que la calomnie ait bien prévalu sur mes fidèles services. J’espère que la vérité et mon innocence