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sis à domicile. Ils avaient dû subir un long et minutieux interrogatoire devant M. Desmaret, chef de division au ministère de la police. Ce lieutenant du duc de Rovigo, après leur avoir enlevé les livres de piété qu’ils avaient emportés avec eux et jusqu’à leur bréviaire, après s’être assuré qu’ils n’avaient ni plumes ni crayons, les avait fait enfermer dans le donjon du château, où ils furent soigneusement séparés les uns des autres et privés de toute communication avec le reste des prisonniers. Leur mise au secret était si rigoureuse que, placés au même étage que les cardinaux Gabrielli et di Pietro, ils furent longtemps à l’ignorer. On se figure aisément l’effet produit sur les captifs par le traitement auquel les soumettait le souverain qui, après leur avoir demandé leur avis comme évêques, les punissait du courage qu’ils avaient mis à lui répondre suivant leur conscience. L’évêque de Tournai, doué d’une constitution robuste et d’un caractère plein d’égalité, ne parut pas trop souffrir de cette épreuve ; l’évêque de Gand, plus faible de santé et d’une sensibilité toute nerveuse, supportait moins facilement une si pénible séquestration. La promenade solitaire qu’on lui permettait de faire chaque jour sur la plate-forme du donjon trompait imparfaitement son ennui. Dans cette même prison d’état où le grand Condé, gardé moins étroitement, avait jadis, pour occuper ses loisirs, cultivé des œillets et composé des épigrammes contre Mazarin et le comte d’Harcourt, l’inoffensif prélat trouva moyen de se distraire un peu en écrivant avec du plomb arraché à la toiture de la terrasse, et sur les morceaux de papier qui avaient servi à envelopper ses alimens, quelques ingénieux commentaires sur les fables de La Fontaine. L’évêque de Troyes avait non sans peine obtenu une plume et de l’encre. Il s’en servit pour écrire, le 5 novembre, à M. Desmaret, et pour réclamer avec émotion contre le traitement qu’on lui faisait subir. Sa plainte fut écoutée, et le duc de Rovigo donna des ordres au gouverneur du donjon pour qu’on fît descendre au premier étage les cardinaux di Pietro et Gabrielli. On mit à leur place M. Duvivier, secrétaire de l’évêque de Tournai, et M. van de Welde, théologien de l’évêque de Gand, qui avaient été tous deux arrêtés en même temps que leurs pasteurs. Les trois prélats reçurent en même temps la permission de se visiter dans

    par le calme de leur résignation. Il n’en avait pas été de même pour l’évêque de Troyes. M. Veyrat ne pouvait dissimuler son étonnement d’avoir vu M. de Boulogne descendre jusqu’à la prière, et le conjurer de vouloir bien lui donner le temps de faire entendre ses réclamations, comme si pareille condescendance était possible de sa part. « Les hommes doués d’une imagination vive jusqu’à l’emportement, ajoutait M. Pasquier, et tel était l’évêque de Troyes, sont presque toujours ceux qui se laissent le plus aisément abattre. »