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besoin. Il est assez naturel qu’il ne se soit pas adressé aux correspondans du ministre de la police pour se procurer les traités religieux et les ouvrages spéciaux qui pouvaient lui être utiles pour se défendre contre les prétentions toujours croissantes du gouvernement français. La congrégation de Saint-Sulpice était, on s’en souvient, dissoute à cette époque, et son pieux directeur était mort. Ce fut à l’ami et à l’héritier de l’abbé Émery que Pie VII fit secrètement appel pour se procurer un certain nombre de livres provenant de la bibliothèque du savant théologien qui, tout en restant fidèle aux doctrines gallicanes, avait si courageusement défendu jusqu’aux derniers jours de sa vie les droits du saint-siège. L’abbé Garnier, devenu à son tour supérieur de Saint-Sulpice, a plus d’une fois raconté à des personnes encore vivantes qu’il avait ainsi envoyé au saint-père, par un intermédiaire sûr, les œuvres de saint Cyprien, le Cours de droit canon de van Espen, et plusieurs autres volumes dont il avait oublié les titres. « Le pape avait reçu ces livres, répétait encore en 1836 le successeur de l’abbé Émery ; il s’en était servi et les avait même emportés probablement à Rome, car ils ne furent jamais rendus[1]. » Quittons pour un instant ce palais de Fontainebleau, théâtre prochain de la chute de l’empereur et de la délivrance du pape, et tandis que dans une solitude presque absolue Pie VII s’y apprête par le recueillement, par l’étude, par la prière surtout, à la dernière lutte qu’il eut à soutenir contre son redoutable adversaire, essayons, revenant un peu sur nos pas, de rendre compte de la situation faite à l’église de France depuis le jour de la brusque dissolution du concile jusqu’à la fin de la désastreuse expédition de Russie.


II.

Aussitôt que Napoléon eut reconnu qu’il aurait peine à mener à bonne fin la négociation entamée à Savone avec Pie VII, il n’avait rien eu de plus pressé que de renvoyer dans leurs diocèses les évêques encore assemblés à Paris. La plupart avaient devancé ses ordres ; mais quelques-uns témoignèrent la plus grande répugnance à se rendre au milieu de leur nouveau troupeau : c’étaient ceux que l’empereur avait récemment nommés. Le saint-père avait fini, de guerre lasse, par leur accorder l’institution canonique ; mais ils ne pouvaient en définitive être sacrés depuis que Napoléon, par les

  1. Des recherches faites à la bibliothèque du château de Fontainebleau, il résulte qu’on y possède un gros volume in-folio des œuvres de saint Cyprien ; rien n’indique toutefois que ce soit l’exemplaire prêté à Pie VII, par l’abbé Garnier.