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désigné à l’indignation publique. Du sommet le plus élevé au degré le plus bas de la hiérarchie, les fonctionnaires du premier empire n’avaient tous fait qu’obéir. Ne point se compromettre, telle avait été leur unique pensée. Le plus hardi d’entre eux aurait craint en cédant, fût-ce un instant, à quelque généreuse impulsion d’attirer sur lui la colère d’un maître redouté ; par frayeur, ils s’étaient passé de main en main l’accablant fardeau du pontife moribond. Un peu de pitié s’attache, quoi qu’on en ait, à tant de faiblesse. Il est difficile de blâmer sans les plaindre ces malheureux agens de la volonté impériale ; mais que penser et que dire du souverain tout-puissant qui deux fois pendant son règne a mis à de si cruelles épreuves la conscience de ses plus dévoués serviteurs ?

Maintenant que Pie VII était rendu à Fontainebleau, toute incertitude avait cessé sur la façon dont il convenait de le traiter. Les instructions laissées par l’empereur avaient tout prévu. Il avait ordonné qu’on fît garnir de meubles magnifiques les chambres occupées par sa sainteté au moment du sacre, et dont les fenêtres donnaient en partie sur la cour de la fontaine, en partie sur le jardin réservé du château. L’archevêque d’Édesse, le docteur Porta et les gens de la maison pontificale devaient être logés dans les pièces voisines. D’autres appartemens placés dans le même corps de bâtiment étaient destinés à recevoir les cardinaux et les évêques qui viendraient présenter leurs hommages au saint-père. Convaincu en effet que l’influence de l’entourage au milieu duquel il vivrait ne pouvait manquer d’agir à la longue sur l’esprit de Pie VII, Napoléon n’avait rien tant recommandé à M. Bigot de Préameneu que d’envoyer les dignitaires les mieux pensans du clergé s’établir souvent près de lui à Fontainebleau. Il importait d’y avoir autant que possible à demeure les membres des anciennes commissions ecclésiastiques, surtout les cardinaux et les prélats envoyés récemment en mission à Savone. Il fallait que les plus habiles d’entre eux ne perdissent pas une occasion de mettre incessamment sous les yeux du souverain pontife le tableau des maux présens de l’église de France, afin d’ouvrir la voie à de nouvelles négociations, et de le préparer aux grands sacrifices qui seraient bientôt exigés de lui. Ces fréquentes entrevues du chef de la catholicité avec des membres sûrs et bien choisis de l’ancien concile national auraient d’ailleurs plus d’un avantage. Elles tranquilliseraient les curés de campagne et la masse entière des fidèles sur l’état des relations entre le saint-siège et Napoléon. Le spectacle du souverain pontife devenu l’hôte du fils aîné de l’église et habitant, en compagnie d’une foule de cardinaux et d’évêques, l’une des plus somptueuses résidences impériales ne pouvait qu’être d’un excellent effet. Si l’on amenait