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Pologne. Si vous avez prononcé des paroles qui aient pu les blesser, reniez-les, effacez-les. Ne donnez pas à vos adversaires d’Autriche les occasions de vous calomnier; n’affaiblissez pas chez vos amis de l’Occident les sympathies qu’ils vous doivent.

On nous pardonnera la vivacité de nos paroles : nous combattons des adversaires de tout bord, nous défendons des cliens qui n’ont pas toujours été sans reproche, et nous nous adressons à un public que ces choses lointaines ont trop souvent laissé indifférent. Parmi tant de problèmes qui pèsent sur l’Europe, la question bohème, presque inconnue chez nous, est peut-être la plus périlleuse. Dieu veuille que ni la clairvoyance ni la décision ne fassent défaut aux hommes chargés de prévenir les catastrophes de l’Orient! Lorsque la guerre de 1866 changea d’une manière si grave les conditions de l’Europe, cette révolution produisit l’effet d’un coup de foudre, tant les esprits étaient mal préparés h, voir la Prusse victorieuse de l’Autriche. Vainement depuis une vingtaine d’années un petit nombre d’écrivains attentifs avait signalé la marche incessante de l’esprit public, de plus en plus représenté par l’Allemagne du nord. Nous montrions, pièces en main, que ce mouvement gravitait vers la Prusse, que l’unité allemande, à tort ou à raison, se plaçait sous son drapeau, que l’issue dernière de la lutte, toute part faite aux chances des batailles, ne pouvait être douteuse, qu’enfin tôt ou tard infailliblement l’Autriche absolutiste serait rejetée hors de l’Allemagne. On ne voulait pas nous croire. Aujourd’hui nous racontons des faits qui se lient à des questions bien autrement sérieuses, à des événemens bien autrement redoutables. Nous croira-t-on cette fois? ou bien serons-nous condamnés, comme pour les affaires allemandes, au triste avantage de rappeler un jour nos paroles inutiles et nos avertissemens oubliés? Faisons du moins notre tâche, signalons les marées qui montent, indiquons les nuées qui recèlent les tempêtes. Du haut de la vigie, nous répétons ce cri d’alarme que tant de voix nous apportent des rives de la Moldau et du Danube : « l’Autriche sera une fédération, ou bien il n’y aura plus d’Autriche. »


SAINT-RENE TAILLANDIER.