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sa destinée; l’archiduché des Habsbourg, sous le titre de royaume austro-allemand, y occupera aussi la place qui lui appartient, car, si la liberté est l’âme de cette Autriche régénérée, les Austro-Allemands, attachés par tant de souvenirs à la dynastie des Habsbourg, ne seront pas plus disposés à se perdre dans l’unité germanique que les Tchèques dans l’unité slave. Alors l’empire de l’est sera fondé, alors aussi pourront être conjurés quelques-uns des périls qui menacent l’Europe au nord et à l’orient.

Est-ce seulement l’intérêt de l’Europe qui nous fait parler? A coup sûr, notre sollicitude n’aurait pas besoin d’autre justification; nous avons pourtant un intérêt plus direct encore dans la question de Bohême. La France est préoccupée à juste titre des périls que peut lui susciter la constitution de l’unité germanique. La Prusse n’a pas toujours tenu la conduite la plus sage depuis le traité de Nikolsbourg; elle a substitué ses propres ambitions aux devoirs que lui imposait la victoire de Sadowa, elle a été arrogante, impérieuse, elle a paru plus disposée à dominer l’Allemagne qu’à la servir; enfin ceux-là mêmes qui chez nous avaient loyalement reconnu les titres de la monarchie prussienne à l’hégémonie germanique, voyant aujourd’hui grandir son égoïsme, se demandent s’il sera possible d’éviter une guerre entre la France et la confédération du nord. Nous croyons, nous, que la guerre serait funeste, nous croyons qu’elle précipiterait la conclusion de l’unité germanique par la Prusse, alors même que la France, comme nous n’en doutons pas, maintiendrait la supériorité de ses armes. Nous sommes persuadé au contraire que la prolongation de la paix prolongerait une expérience peu favorable à l’ancien prestige libéral du pays de Frédéric le Grand. Or, quel que soit le dénoûment de cette crise, que la guerre éclate à l’improviste ou qu’elle soit prudemment ajournée, nous avons le même intérêt à ce que la Bohême recouvre au plus tôt sa libre autonomie. Si la paix se maintient, si l’esprit particulier de l’Allemagne du sud s’affermit, si une confédération s’organise entre les états situés en-deçà du Mein, l’Autriche, par ses provinces allemandes, pourra jouer un rôle dans cette confédération; mais, pour qu’elle puisse le jouer sans être suspecte à personne, il faut qu’elle ait donné chez elle l’exemple d’une confédération libérale. L’Autriche absolutiste a été renversée pour toujours à Sadowa; la dynastie des Habsbourg ne recouvrera son influence sur l’Allemagne du midi qu’après avoir fait ses preuves comme puissance tutélaire d’une fédération libre. Si au contraire l’unité germanique devait être accomplie quelque jour, il est bien plus encore de l’intérêt de la France que la Bohême, maîtresse de son autonomie, ne puisse offrir aucune prise aux étreintes de la Prusse. Une Bohême